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Compte-rendu : Beaumarchais revigoré par Thierry Pécou - L’Amour coupable à l’Opéra de Rouen
Avec cette création de Thierry Pécou, aboutissement d’une résidence de trois ans auprès de l’Opéra de Rouen, s’achève également une « trilogie Beaumarchais » : Le Barbier de Séville de Rossini et Les Noces de Figaro de Mozart ont précédé au cours de la saison cette adaptation de La Mère coupable.
De la pièce de Beaumarchais, un tantinet moralisante, Thierry Pécou et son librettiste Eugène Green ont fait un opéra en cinq actes au rythme implacable, une « comédie triste pour musique », quitte à quelque peu « tordre le cou » à l’intrigue.
On retrouve dans La Mère coupable les personnages de la « trilogie Almaviva » : le Comte et Rosine, Figaro et Suzanne, vingt ans après le mariage de Figaro. L’action se passe à Paris où les Almaviva se sont installés. Eugène Green a subtilement décalé la scène de quelques années : à la fraternité triomphante de 1790 a préféré substituer la Terreur où, dans les dérives de la Révolution, la vertu citoyenne devient la meilleure couverture des nouveaux Tartuffes. Et ce sont en effet les intrigues du citoyen Béjart, très grise éminence du Comte Almaviva qui fournissent sa trame à l’opéra.
La qualité première de l’œuvre est de ne pas s’appesantir sur un portrait psychologisant des personnages. Leur caractérisation par la musique relève avant tout de la comédie : la jeune Florestine (excellente Natacha Kowalski), pupille d’Almaviva (dont on apprendra qu’elle est la fille naturelle), est vocalisante à souhait jusque dans ses sanglots ; Figaro, bonhomme, que campe à merveille Matthieu Lécroart, est plus proche de la chanson populaire que du grand opéra, mais, dès son entrée en scène, l’orchestre, sombre, lui confère la gravité d’un homme resté fidèle à l’honneur en dépit des turpitudes de l’Histoire. Pour le personnage de Béjart, le compositeur dit avoir trouvé « un point de contact avec le tango argentin : cette musique – son rythme, sa suavité – accompagne parfaitement la construction de ce Tartuffe, escroc professionnel à la psychologie variable ». De fait, le personnage chanté par Arnaud Marzorati se fait incessamment insinuant.
Tous sont lancés au long des cinq actes dans le perpétuel mouvement impulsé par l’orchestre dès l’ouverture. Si à chaque acte correspond une couleur dominante, en accord avec la mise en scène à la fois sobre et animée de Stephan Grögler – dans le quatrième acte, où la trahison de Béjart est dévoilée, la musique se pare de froideur sans pour autant perdre de rythme – la manière de Thierry Pécou est toujours reconnaissable. Avec une maîtrise étonnante, le compositeur sait, à partir de formules mélodiques simples, conduire l’auditeur de transformations en transformations. Toujours soucieux d’assurer une bonne intelligibilité du texte, il compose les parties vocales selon une prosodie simple mais extraordinairement efficace. Bien dans l’esprit du contexte de la pièce – la ferveur du peuple pour sa révolution – le chant prend presque parfois des tournures de comptine (et se mêle, au quatrième acte, à des bribes de chants révolutionnaires entonnés par le chœur dispersé dans la salle). Il n’est guère que Ravel, dans L’Enfant et les sortilèges, qui y réussît à ce point.
Jean Deroyer, dans la fosse, fait montre d’une direction toute en souplesse, parfaitement accordée à cette musique où flotte souvent le parfum de Stravinsky – celui de The Rake’s Progress surtout – et porte à l’incandescence l’Orchestre de l’Opéra de Rouen.
Sans faiblesse durant une heure et demie, cet opéra aisément accessible tant au public qu’aux orchestres des théâtres lyriques mériterait bien plus que ses trois représentations rouennaises. Pour une reprise, un directeur de théâtre audacieux pourrait reconduire sans hésitation la distribution de cette première (avec notamment Edwin Crossley-Mercer en Almaviva et Gaëlle Méchaly dans le rôle de Suzanne), très homogène et entièrement convaincante.
Jean-Guillaume Lebrun
Thierry Pécou : L’Amour coupable – Rouen, Théâtre des Arts, vendredi 23 avril, dernière représentation le 27 avril 2010
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Photo : DR
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