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Compte-rendu : Blanche Neige d’Angelin Preljocaj - Sombres splendeurs
Une chose est sûre : malgré son titre apparemment tout public, la Blanche Neige chorégraphiée par Preljocaj n’est guère à recommander aux chères têtes blondes en mal de conte de Noël. Ce n’est que logique, le conte des frères Grimm reposant sur les instincts les plus sombres de l’humain, cachés ou avoués. La projection scénique ne triche pas : il y a ici un cœur que l’on coupe, une agression d’une rage folle lorsque la marâtre étouffe Blanche Neige avec la pomme, une exécution terrible qui clôt l’histoire, la méchante reine dansant jusqu’à la mort dans des brodequins de fer chauffés à blanc, comme dans l’original. Sans parler d’une sexualité brute, à l’état natif, qui s’impose comme une force vivace, sans afféterie, particulièrement pour le personnage de Blanche Neige.
Restons donc entre adultes pour apprécier la sombre splendeur de cette plongée dans un monde noir que seul l’amour vient éclairer, mais où le pardon n’a pas cours. Preljocaj y ajoute sa pierre à un édifice aujourd’hui compromis, celui des ballets à histoire : il sait les conter, avec l’avantage ici que chacun connaît le sujet, ce qui facilite sa mise en place. Tout y est posé avec une dure clarté, dessiné avec la gestique très typée du chorégraphe, qui tord les corps comme Delacroix ou Gustave Doré, en délaissant les beautés de l’académie linéaire pour faire remonter la puissance de la chair. Il abat ici ses meilleures cartes : l’art de la narration, une musicalité aigue qui lui a fait choisir uniquement des pages de Mahler, ce qui rend le climat encore plus angoissant, et une très fine gestion de la pulsation rythmique et de ses prolongements : ainsi le choix de la 1ère Symphonie où bat la comptine Frère Jacques, pour faire glisser sur un mur vertical ses mineurs-nains suspendus. Un tableau qui a beaucoup fait pour le succès de ce ballet.
D’autres séquences offrent un poésie bouleversante, que ce soit l’image de la mère de Blanche Neige descendant de l’au-delà pour l’arracher à la mort et celle de la biche avançant dans le bois, ou provoquent des chocs, ainsi la métamorphose éclair de la marâtre en sorcière. Enfin, il y a là l’un des plus suffocants pas de deux jamais écrits, lorsque l’amoureux de Blanche Neige la découvre morte, et la tord, la lance comme une imprécation à la face du destin. Il faut aux deux protagonistes une pratique accomplie de l’art de Preljocaj et une souplesse à toute épreuve pour endurer ce tourbillon. Ils le sont, en l’occurrence, Nagisa Shirai et Sergio Diaz, tout comme le reste de la compagnie et la spectaculaire Céline Galli, dont Jean-Paul Gaultier a emprisonné le corps longiligne dans un corset – cape d’une élégance dévoreuse, exactement comme il le fait pour Madonna.
Le point faible du spectacle, et le seul, ce sont les autres costumes de Gaultier, emmaillotant les danseurs dans d’improbables couches-culottes. On parvient heureusement à l’oublier tant le caractère hypnotique du spectacle l’emporte. Le Théâtre de Chaillot a bien eu raison de reprogrammer cette œuvre magnifique, qui avait déjà rempli sa salle l’an passé. Décidément, Preljocaj est un créateur phare à l’imaginaire unique.
Jacqueline Thuilleux
Preljocaj : Blanche Neige – Paris, Palais de Chaillot, le 23 décembre 2009, représentations jusqu’au 9 janvier 2010. (www.theatre-chaillot.fr– Tel. : 01 53 65 30 00)
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Photo : JC Carbonne
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