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Compte-rendu : Kreizberg, Bianconi et le Philharmonique de Monte-Carlo - Lyrisme sublimé


Tandis que les rayons de disques sont en cette fin d’année envahis par des emboîtages et ré-emboîtages d’enregistrements souvent archi-connus, il est pour le moins réjouissant de voir paraître une vraie nouveauté discographique telle que le superbe triple album Stravinski (1) de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dirigé par Yakov Kreizberg. Le Sacre du Printemps et L’Oiseau de Feu en particulier donnent la mesure du formidable travail accompli par le nouveau directeur musical ; de la métamorphose accomplie sous sa baguette par la phalange monégasque. Un petit miracle que reflète le disque, mais qui se fait plus évident encore lorsque l’on assiste à un concert de Kreizberg et de ses musiciens.

Remplacé par V. Petrenko la saison dernière dans un concerto de Mozart, Kreizberg n’avait pu faire tandem avec Philippe Bianconi et l’on guettait avec impatience leur rencontre dans le 2ème Concerto de Rachmaninov. Une fois n’est pas coutume, ce cheval de bataille du répertoire russe conclut l’original programme que Kreizberg ouvre avec Harmonielehre de John Adams (partition de 1985 dont c’est la première exécution sur le Rocher). Au grand complet, et augmentés des quelques supplémentaires requis par l’ouvrage à grand effectif de l’Américain, les Monégasques livrent une interprétation tout simplement sidérante de maîtrise et de vitalité. Aussi concentré et efficace que poétique et attentif aux timbres, le geste de Kreizberg suscite un magnifique mouvement d’enthousiasme collectif, porté par la confiance réciproque qui unit le maestro à ses musiciens.

Harmonielehre est de ces partitions qui comportent une dimension visuelle importante : on la savoure d’autant plus en voyant, à chaque pupitre, les instrumentistes donnant le meilleur d’eux-mêmes. Mystérieuse alchimie entre un chef et son orchestre qu’il n’est pas donné d’apprécier tous les jours…

Les première et troisième parties de l’ouvrage d’Adams manifestent un foisonnement aussi intense qu’équilibré ; les plans sonores se détachent avec un parfaite netteté. Quant à La Blessure d’Amfortas (titre de la deuxième partie), hantée par le souvenir du démiurge de Bayreuth, Kreizberg sait en distiller la douloureuse et étreignante poésie.

La transition se fait tout naturellement avec le bref Cantabile pour cordes du Letton Peteris Vasks que chef déploie avec générosité mais sans emphase. Un émouvant moment de lyrisme sublimé ; un prélude idéal au très attendu Concerto n°2 de Rachmaninov sous les doigts de Philippe Bianconi.

A la différence des orchestres parisiens qui snobent l’artiste d’assez invraisemblable manière, le Philharmonique de Monte-Carlo se rend compte lui d’une évidence : Bianconi est l’un des très grands pianistes français de notre temps. On attendait beaucoup de sa rencontre avec Kreizberg dans l’Opus 18 du Russe : elle a dépassé les espérances. Lorsque l’on dispose d’un partenaire aussi intelligemment attentif que Kreizberg les conditions sont il est vraie réunies pour atteindre des cimes ... D’une classe irrésistible, noble mais jamais boutonnée, l’interprétation de Bianconi sonde les beautés de la partie soliste, en parfaite osmose avec un orchestre qui, pareil à la vague sur le sable, tantôt fusionne avec le piano, tantôt se retire lui laissant tout loisir de déployer un lyrisme aussi fervent qu’épuré, servi par une palette sonore infiniment nuancée (quel Adagio !). Rebattu, souvent dévoyé, le Concerto en ut mineur s’impose dans sa brûlante et secrète majesté, avec une simplicité à l’image de ses serviteurs. 

Lors de l’ovation que le public réserve aux interprètes on se prend à les rêver dans un enregistrement intégral de l’œuvre concertant de Rachmaninov…

Pour l’instant c’est aux concerts à venir que songent Kreizberg et son orchestre. Ils partent en effet en tournée en Allemagne (Hambourg, Munich, Düsseldorf, Francfort) début décembre(1) pour dans Tchaïkovski (le Concerto n°1 avec Nikolaï Tokarev) et Rachmaninov (Symphonie n°2). Un programme qui sera donné dès le 28 novembre à Monte-Carlo.

Alain Cochard

(1) 3 CD OPMC Classics 001/ dist. Codaex

Monte Carlo, Auditorium Rainer III, 7 novembre 2010

Programmation détaillée de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo : www.opmc.mc

Tournée en Allemagne de l’OPMC : 1er déc. (Hambourg, Musikhalle), 2 déc. (Munich, Philharmonie am Gasteig), 3 déc. (Düsseldorf, Tonhalle), 5 décembre 2010 (Francfort, Alte Oper)


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Photo : Dr

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