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Compte-rendu : La Rondine à Toulon - Modeste et sûre de l’être
Elle fut une enfant mal-aimée, cette Rondine écrite en 1915 par Puccini pour le Karltheater de Vienne, lequel le lui avait commandé deux ans avant, et destinée à un public qui lui faisait fête, avant de voir le jour en 1917 à Monte Carlo. Mal-aimée parce que d’un genre peu défini, et insuffisamment enlevée, faute de séquences aussi grisantes que celles imaginées par un Lehar, pour remplir son office de comédie lyrique à la fois divertissante et émouvante. Et Puccini lui-même trancha : « une expérience à ne pas recommencer et qui ne valait pas la peine d’être tentée ». Tentons de la charger : la Rondine, certes, manque de sensualité, de langueur, et ne trouve jamais d’envolées propres à traduire des émotions puissantes.
Scéniquement, elle a un air de déjà vu : l’amour de Puccini pour les grisettes, les poncifs de l’époque, où le vérisme s’engluait dans le sentimentalisme, l’opposition entre les salons opulents où l’argent coule à flot aux pieds des courtisanes, et la gaîté des bals populaires ou des cafés d’étudiants. Et musicalement, elle oscille entre des accents déjà entendus dans la Bohême ou Manon. En outre, son héroïne est un rien falote : on se réjouit pour elle qu’elle prenne sa décision de quitter son amant par sagesse, sans être trop déchirée, mais face à la douleur terrible d’une Violetta, cette Magda qui a peur de s’embourgeoiser et de laisser brider sa liberté, a des odeurs de poudre de riz. A l’Opéra, le bon sens paye peu.
Car tout flaire le boudoir dans cette petite Traviata, pour laquelle Puccini a cependant trouvé une finesse d’écriture, particulièrement dans le deuxième acte, une délicatesse de palette, une poésie légère qui apporte le parfum d’un monde enfui, par delà la moralité convenue de l’intrigue. Mais le compositeur a dû l’aimer bien moins que ses autres infortunées héroïnes, cette hirondelle qu’il ne fait pas mourir, comme Mimi, Liu, Manon ou Butterfly. Et c’est sans doute ce qui lui manque pour nous transporter. Car la mort permet des accents bien plus fracassants que la symphonie des adieux, surtout quand la trajectoire ramène à la banque.
L’Opéra de Toulon est cependant courageux d’avoir inscrit à sa saison cette reprise d’un spectacle monté par le Théâtre del Giglio de Lucques, ville d’origine du compositeur, et mis en scène par Gino Zampieri, qui a laissé l’oeuvre dans son ton gentiment désuet. Et l’Orchestre de l’Opéra, très en forme, et dirigé par un Giuliano Carella offensif, comme s’il tentait de dramatiser cette comédie douce-amère, en détaille avec couleurs et vaillance les modulations subtiles, même si peu d’airs y ressortent de façon tranchée, à l’exception de celui du poète Prunier au 1er acte.
Quant aux chanteurs, placés dans une sage optique d’époque, avec un graphisme de décors très George Barbier, d’habiles éclairages de Jean-Claude Asquié, et des costumes façon Poiret dont on se dit qu’ils font merveille en croquis mais sont décidément bien difficiles à porter, ils se tirent de cette entreprise délicate avec élégance : de la belle composition de la romaine Maria Luigi Borsi en Magda, au solide soprano, mais plus à l’aise dans l’expression passionnée que dans le maniérisme du 2e acte, où il lui faut minauder en gamine, au clair Ruggero du Belge Marc Laho, lequel doit affronter un difficile moment, lorsqu’il apparaît en mules de bains et peignoir, attifure peu propice au glamour. On a aussi savouré le piquant de Rosanna Savoia en Lisette, tellement proche de Musette, qu’on a du mal à ne pas plaquer les deux personnages l’un sur l’autre, et la puissance expressive de Francesco Marsiglia en Prunier, le poète.
Bref tout est ici charme et grâce, douloureux sans drame, plaisant sans rire. On en sort attendri, étonné que ce bouquet ait pu fleurir en 1915, mais guère ému.
Jacqueline Thuilleux
Puccini : La Rondine – Toulon, Opéra, le 25 février. Dernière représentation le 2 mars 2011
www.operadetoulon.fr
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