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David et Jonathas de Charpentier au Théâtre de Caen – L’aide-soignante et le dictateur – Compte-rendu
Les mélomanes ne remercient pas Lully, à cause duquel Charpentier n’a laissé qu’un opéra. On peut toujours tenter de mettre en scène ses Histoires sacrées, mais en dehors de Médée, sa seule œuvre véritablement scénique reste David et Jonathas. Hélas, ce « quasi opéra » pâtit d’un livret nécessairement fragmentaire, puisqu’en 1688, les bons pères jésuites avaient eu l’idée d’entrelacer la tragédie en musique à un drame en latin, dont on peut raisonnablement supposer qu’il devait combler les béances apparaissant dans le livret. Jusqu’ici, on s’en était accommodé, en faisant comme si de rien n’était. Mais il était tentant de rétablir un peu de parlé au milieu de tout ce chanté, et c’est ce qu’a voulu faire le Théâtre de Caen, où Sébastien Daucé et son ensemble Correspondances sont en résidence.
© Philippe Delval – Théâtre de Caen
Découvrez l'interview vidéo de Sébastien Daucé à propos de David et Jonathas
Pour ces représentations coproduites avec plusieurs maisons d’opéra de France et de Navarre, le nouveau texte est dû à l’écrivain Wilfried N’Sondé, qui a imaginé que Saül se remémorait les événements relatés par l’opéra, depuis la chambre d’hôpital où il est claquemuré, enfermé dans un silence obstiné. L’avantage est que le chanteur qui interprète le rôle n’a donc pas à parler, cette tâche retombant sur les seules épaules d’un personnage inventé pour l’occasion, une « soignante » qui tente en vain de dialoguer avec lui et qui soliloque régulièrement en voix off (rôle tenu par l’actrice Hélène Patarot). Ses interventions se glissent dans divers interstices, sans rapport avec le découpage opéra à la création, qui alternait régulièrement actes parlés et actes chantés. Le décalage est néanmoins souligné entre les scènes de l’hôpital, où un « tyran contemporain déchu » revit un épisode traumatisant, et les moments dont il se souvient, situés plus ou moins nulle part, à une époque imprécise. L’ennui, c’est que le texte ajouté n’aide pas vraiment à suivre l’action de l’opéra, avec laquelle il n’entretient qu’un rapport distant. La mise en scène de Jean Bellorini ne tente pas non plus de distinguer clairement entre Israélites et Philistins, même si l’on voit bien que le chœur oscille entre uniformes modernes avec rangers, treillis et casques, et tenues plus exotiques. Le recours ingénieux à des masques à base de grillage transforme la physionomie des artistes sans gêner leur chant (on l’espère du moins).
© Philippe Delval – Théâtre de Caen
Découvrez un extrait vidéo de David et Jonathas à l'Opéra national de Lorraine
Heureusement, tout est parfaitement clair pour les oreilles, grâce à l’interprétation toujours fluide, sans raideur aucune, de Sébastien Daucé et grâce aux voix admirablement fraîches, à la diction si nette, du chœur de l’ensemble Correspondances. La musique de Charpentier trouve ici toute sa richesse de contrastes, avec la diversité d’affects qu’elle doit exprimer, jusque dans les danses qui sont parfois données à rideau baissé, en l’absence de toute chorégraphie. Lucile Richardot prête son timbre somptueux à la Pythonisse, mais l’on regrette que la mise en scène ne mette guère en valeur son unique moment de gloire. Affublé d’un costume impossible, Etienne Bazola fait de son mieux pour restituer toute son animosité à Joabel.
© Philippe Delval – Théâtre de Caen
Le roi Achis bénéficie des graves du toujours excellent Alex Rosen, dont le français est irréprochable, tout comme celui de Petr Nekoranec, le ténor tchèque semblant évoluer sans effort dans la tessiture particulièrement aiguë de David. Gwendoline Blondeel compose un Jonathas délicieusement juvénile et touchant, en particulier dans son grand air « A-t-on jamais souffert une plus rude peine ». On remarque que, malgré le style galant dans lequel dialoguent les deux amis, la mise en scène ne cherche pas à évoquer une possible relation homosexuelle : David et Jonathas sont de grands enfants – on les voit jouer à pierre-feuille-ciseaux… – et leur affection ne se traduit par aucun geste explicite (on se demande même à quel point Jonathas n’est pas ici devenu de sexe féminin, avec sa jupe-culotte et son corsage).
Jean-Christophe Lanièce, enfin, livre une superbe prestation tant théâtrale, même muette, que vocale. Par son jeu fouillé autant que par la fermeté de son chant, le baryton, auquel on a un peu fait la tête du Verdi des dernières années, traduit les tourments d’un personnage résolument remis au centre de l’œuvre, comme au temps où David et Jonathas de Charpentier complétait le Saül du père Chamillard.
Laurent Bury
Reprises à Nancy les 14, 16 et 18 janvier ; au Théâtre des Champs-Elysées le 18 et 19 mars ; à Luxembourg les 26 et 28 avril 2024
Photo © Philippe Delval – Théâtre de Caen
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