Journal
David Fray en récital au Théâtre des Champs-Elysées – Ombres et lumières – Compte-rendu
Pas d’Allegretto en ut mineur D 915, cette exquise pièce mozartienne de Schubert qui ouvrait le récital de David Fray, pour l’émissaire de Concertclassic, en raison de la fluidité de la circulation parisienne ! Donc plongée d’emblée dans les Quatre impromptus op. 142, au cœur de cette musique tout en subtilité, en pleins et déliés, où le pianiste se meut avec un bonheur total. On sait son affinité avec Schubert, qui convient idéalement à sa sensibilité affûtée, à son jeu intimiste, à sa palette de couleurs fines, avec un toucher qui mène au cœur des nuances du clavier. Si loin des virtuoses qui créent trop fréquemment des effets, alors que Schubert laisse couler simplement, surtout dans ces délicieux impromptus. Fray pénètre cet univers intimiste comme s’il jouait au coin du feu devant un groupe d’amis, ce que fit Schubert toute sa courte vie. L’homme, certes semble nerveux, extrêmement tourmenté, mais étrangement, son jeu dépasse cet état de tension pour se faire toute fluidité, toute mélodie chantante.
Un style entre rêverie et vivacité légère, qui contraste avec la seconde partie, ouverte sur Schubert encore avec les Moments musicaux op. 94 nos 2 et 4 op.94, puis se poursuivant avec les Kreisleriana de Schumann : univers aux antipodes, œuvre schizophrénique, toute en dualité percutante, en rebonds, qui appelle l’électricité la plus vive alors que Schubert glissait à la bougie. Là, on fut moins conquis, car habitués à des interprétations plus fracassées. Même pour la 5e, menée prestement mais sans effet de choc. La beauté du son, certes encore, mais pas encore la palpitation effrénée qu’on attend de ces pièces folles. L’artiste a sans doute besoin de s’enfoncer plus avant dans cette sensibilité à vif.
Puis, pour deux bis qui constituaient un véritable concert, il a retrouvé son cher Schubert, et une infinie nostalgie rêveuse a recommencé de planer sur l’auditoire avec le Klavierstück D.946 n°2 et l’Andante sostenuto de la Sonate D.960. Passé par les affres schumaniennes, Fray, comme libéré de ces détentes nerveuses, plongeait avec encore plus d’intensité douloureuse dans ces pages majeures, pour lesquelles l’auditoire retenait son souffle. Et même s’il ne s’agissait pas de Chopin dans lequel il excelle aussi, on repensait à la phrase avec laquelle George Sand le décrivit : « un ange beau de visage comme une grande femme triste ».
Rien d’étonnant à ce que John Neumeier, le maître chorégraphe du Ballet de Hambourg, ait demandé à David Fray d’accompagner de sa vision schubertienne, si personnelle, une partie du dernier ballet qu’il créera le 30 juin à Hambourg, sous le nom parlant d’Epilogue, en conclusion de sa 51e saison dans cette ville dont il a fait la capitale européenne de la danse. Fray, qui invite des danseurs du Hamburg Ballet et de celui de l’Opéra de Paris dans son festival L’Offrande Musicale, dans les Hautes Pyrénées, Neumeier, d’une sensibilité musicale aussi aiguisée que son talent scénique, voilà deux esprits qui se rencontrent et fusionnent, grâce au lointain Schubert, si proche de chacun de nous.
Jacqueline Thuilleux
> Voir les prochains concerts "Schubert" en France
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 1er juin 2024
Festival l’Offrande musicale, du 29 juin au 13 juillet 2024 : www.loffrandemusicale.fr
Epilogue, Ballet de John Neumeier, du 30 juin au 4 juillet 2024 : www.staatsoper-hamburg.de/en/schedule/event.php?AuffNr=196299
Photo © François Berthier
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