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Death in Venice à l’Opéra du Rhin (Streaming) – Tadzio, c’est moi !
Cette fois, la mise en scène est confiée à Clarac-Deloeuil > le lab. Ceux qui ont vu leur trilogie Mozart-Da Ponte à Bruxelles ou leur Madame Butterfly à Limoges savent qu’à chaque spectacle, l’équipe articulée d’autour de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil trouve le moyen de rapprocher les œuvres de notre temps pour dépasser clichés et conventions. Avec Death in Venice, opéra créé en 1973, on glisse simplement de la modernité du siècle dernier à notre post-modernité, d’où un feuilletage temporel quasi-proustien au lieu d’une anecdote vécue en direct. Comme d’autres avant elle, cette production se dispense de Venise (tout en l’évoquant subtilement à travers d’étonnantes vidéos tournées dans des lieux « vénitiens » de Strasbourg ou de Colmar) et l’action se déroule dans une succession d’espaces plus ou moins fermés – chambre, salle d’hôpital, plage, etc. où l’action est commentée par le chœur en marinière qui s’entasse dans les recoins. Les épisodes chorégraphiques sont mimés ou remplacés par des projections. Surtout, ce spectacle nous montre un héros qui revit son propre passé, avec un virage à 90° qui déplace la fascination du vieil Aschenbach pour le jeune Tadzio au profit de la fascination du jeune Aschenbach pour son camarade Jaschiu. Ce qu’on perd en immédiateté des événements, on le gagne en justification de l’introspection puisque le protagoniste se remémore, se revoit tel qu’il était jadis et finit par succomber à un tourment revenu du passé au lieu d’être enduré au présent.
Plus que jamais, l’œuvre repose sur ses deux principaux interprètes. Après avoir été un juvénile Captain Vere dans la magistrale production de Billy Budd signée à Madrid par Deborah Warner, Toby Spence est un Aschenbach bien moins âgé qu’à l’ordinaire (Kurt Cobain, suicidé à 27 ans, est une des personnalités dont les metteurs en scène se sont inspirés, jusque dans l’apparence physique du héros), mais dont la moindre inflexion semble épouser les plis et les replis de l’âme torturée de l’écrivain confronté à la beauté incarnée.
Dans le rôle de la Mort poursuivant Aschenbach sous sept visages, Scott Hendricks se montre lui aussi acteur confondant, passant en virtuose par les avatars les plus divers ; on regrette que le falsetto du baryton américain se déploie avec moins de puissance que chez d’autres titulaires, mais le timbre a toute la noirceur voulue. Jake Arditti est un Apollon aussi convaincant vocalement que scéniquement, même suspendu au-dessus du plateau telle une statue dans sa boîte. Peter Kirk et Laurent Deleuil s’acquittent très correctement de leurs petits rôles, mais c’est surtout parmi le vivier que constitue l’Opéra Studio qu’ont été choisis les interprètes de figures épisodiques comme la vendeuse de fraises, la marchande de journaux ou le père polonais : si brève que soit leur intervention, on remarque les voix prometteuses des sopranos Julie Goussot ou Eugénie Joneau, du ténor Damian Arnold ou de la basse Dragos Ionel, entre autres. Et saluons au passage les divers figurants devenus ici la mère d’Aschenbach ou Aschenbach enfant. Peut-être l’avenir permettra-t-il un jour de présenter cette production au public autrement que par le biais d’un écran.
Laurent Bury
Photo © Opéra national du Rhin
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