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Debora Waldman dirige l’Orchestre National de France –Trésors retrouvés – Compte-rendu
La Nuit et l’Amour d'Augusta Holmès (1847-1903) ouvre la soirée, un morceau extrait de Ludus pro Patria, « ode-symphonie pour chœurs et orchestre avec récit en vers ». On a peine à imaginer de nos jours le succès qui fut celui d’Augusta Holmès en son temps (en tout cas jusqu’à l’échec de La Montagne noire à l’Opéra de Paris en 1895) et l’accueil que connut cet ouvrage – inspiré par un tableau de Puvis de Chavannes – à sa création le 4 mars 1888 (avec le célèbre Mounet-Sully en récitant). Une création tant applaudie qu’une reprise eut lieu dès la semaine suivante !
Parmi les plus beaux moments de Ludus pro Patria, l’interlude La Nuit et l’Amour exerça une séduction particulière et fit par la suite l’objet d’une transcription pour piano (intitulée La Nuit) par la compositrice. Difficile il est vrai de résister à la beauté mélodique de cet Andante amoroso molto lento que la baguette tout à la fois souple et ferme de Debora Waldman sait faire chanter avec lyrisme et noblesse.
Si la pièce de Holmès est passée de l’orchestre au piano, un processus inverse est intervenu pour les Femmes de légende de Mel Bonis (1858-1937). Ce titre désigne originellement une série de belles pages pour clavier ; sept à deux mains (1), une à quatre mains : Le Songe de Cléopâtre (demeurée inédite jusqu’en 2007). Forte des cours d’orchestration reçus de Charles Koechlin en 1908-1909, Bonis adapta trois de ses Femmes de légende pour un riche effectif symphonique : Salomé, Ophélie, Le Songe de Cléopâtre. D’évidence les leçons de l’ancien élève de Fauré et Massenet avaient été pleinement assimilées : Debora Waldman sait mettre en valeur la riche orchestration du triptyque (Bonis gâte l’harmonie – dont le cor anglais, très présent et fort bien tenu ici par Laurent Decker). Elle cultive avec relief et sens narratif l’orientalisme et la sensualité des partitions et dévoile de prégnants paysages sonores avec le concours d’un Orchestre National visiblement séduit par les terres inconnues sur lesquelles ce programme découvreur et atypique l’entraîne.
Le Concerto pour violoncelle en fa majeur de Marie Jaëll (1846-1925) serait-il en train de trouver sa place au répertoire ? Les concertos romantiques pour cet instrument sont rares et celui-ci mérite en tout cas pleinement d’être défendu. Après un enregistrement sous l’archet de Xavier Philips avec le Brussels Philharmonic et Hervé Niquet (dans le cadre du Portrait en 3 CD que le PBZ a consacré à Marie Jaëll), l’ouvrage a été joué en mars dernier par Emmanuelle Bertrand et l’Orchestre national de Bretagne (une captation destinée au streaming). Cette fois, c’est au tour de Raphaël Perraud, premier violoncelle solo du National, de le défendre. Avec l'attentive complicité de la cheffe, il en livre une lecture très chambriste, mobile, effusive à souhait, qui souligne la valeur d’une partition ramassée et d’une grande densité poétique.
Des qualités qui appartiennent au plus haut point aussi, mais sous un jour dramatique, à la Symphonie « Grande Guerre » (1914-1917) de Charlotte Sohy (1887-1955). Retrouvée et éditée grâce à François-Henri Labey, petit-fils de la compositrice, et Debora Waldman (2), cette partition a été donnée sous la baguette de cette dernière, en création mondiale, le 6 juin 2019 à Besançon, avec le concours de l’Orchestre Victor Hugo.
La première parisienne de la Symphonie en ut dièse mineur conforte les excellentes impressions rapportées du concert bisontin (3). La cohérence du programme français au terme duquel elle est placée y contribue, tout comme le geste d’une cheffe dont l’approche a beaucoup gagné en liberté en l’espace de deux ans – et qui dirige une phalange qu’elle connaît bien pour y avoir été assistante à l’époque de Kurt Masur.
Le poids de la guerre et les tourments d’une jeune femme dont le mari (le compositeur Marcel Labey) avait été gravement blessé se font sentir : tumulte intérieur du premier mouvement, ambiguïté d’un épisode médian aux climats changeants, entre lumineuses éclaircies et sombres nuages, force et admirable pudeur d’un final que referme un choral confié aux cuivres ; c’est là une musique profondément émouvante, défendue avec une rare ferveur par Debora Waldman. Le long silence qui précède les applaudissements, très nourris, vaut tous les éloges ...
On sait gré au Palazzetto Bru Zane d’avoir suscité la création parisienne de la Symphonie « Grande Guerre ». Un enregistrement a été réalisé à cette occasion et figurera dans le Portrait de Charlotte Sohy que le Centre de musique romantique française nous prépare.
Alain Cochard
(2) La cheffe raconte sa découverte de C. Sohy et de la Symphonie « Grande Guerre » dans « La symphonie oubliée », ouvrage co-écrit avec Pauline Sommelet (Robert Laffont)
(3) www.concertclassic.com/article/debora-waldman-dirige-la-creation-mondiale-de-la-symphonie-de-guerre-1917-de-charlotte-sohy
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