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Der Fliegende Holländer à Anvers - L'intention ne fait pas la rédemption - Compte-rendu
Ne cherchez pas de vaisseau, ne cherchez pas de fantôme, et surtout n'attendez pas de rédemption, il n'y en aura pas.
Il y aura pourtant le Hollandais, riche et las de son errance. Figure d'une mercantilisation de la société sans bornes ni hiérarchie de valeurs, les bagages trahissent le personnage : dans ses caisses s'entassent en se mélangent billets de banques et précieux crucifix en or. Il y aura aussi la masse laborieuse, dépenaillée et abrutie, à la botte de Daland, sorte de capitaine d'industrie qui exploite sans scrupule les hommes et la terre dans le commerce de l'or noir. Les hommes pas vraiment marins en fait, et les femmes qui ne sont plus fileuses mais, pour l'occasion, ménagères appliquées et impuissantes à nettoyer les tâches indélébiles occasionnées par ce sale commerce. Et plus elle frottent, plus elles souillent. Absurde consentement et perpétuel recommencement. Il y aura enfin Senta, vendue au Hollandais par son père, Daland, pleine d'un amour exalté mais - attention, franche réécriture du livret avec dégâts collatéraux - trop de ce monde, trop entachée elle aussi par cette société pour sauver le Hollandais de la malédiction de sa perpétuelle dérive. Naufrage final et général de la société toute entière. Seuls s'en sortiront Erik, le fiancé éconduit, utopiste réfractaire au système, et l'insubmersible Daland sans foi ni loi. Le Hollandais n'est pas sauvé, et il faut croire que nous non plus.
© Annemie Augustijns
On l'a compris, la dramaturge Bettina Auer et la metteuse en scène Tatjana Gürbaca présentent là une sévère métaphore de l'homme moderne et de la société marchande contemporaine. Là où Wagner voyait poindre une synthèse du Juif Errant et d'Ulysse, apparaissent alors aussi en filigrane Midas et Sisyphe. L'idée n'est pas nouvelle, on pense notamment à la mise en scène de Jan Philipp Gloger en 2012 pour le festival de Bayreuth, mais ici le point de vue est différent et résolument pessimiste. Sur le plateau d'une grande sobriété, un jeu de miroir entre la scène et son plafond vidéo rythme à point nommé les étapes du drame en soulignant intelligemment l'idée de la confrontation de l'homo economicus à lui-même. C'est extrêmement fouillé et minutieux, ça fourmille de détails et de symboles enchevêtrés, au risque d'ailleurs de perdre le spectateur dans les méandres de cette réflexion. Mais là où la bât blesse, c'est qu'à tordre ainsi le bras au livret, on crée quelques problèmes de cohérence dramatique.
© Annemie Augustijns
Ainsi Senta n'est plus l'ange salvateur, son amour semble ici un peu niais et prend même un tour trivial qui fait rire les spectateurs. La soprano lettonne Lienne Kinča, outre des moyens vocaux insuffisants pour ce rôle, est donc bien en peine de faire quelque chose de ce personnage considérablement dénaturé et finalement faiblement incarné. Sa Ballade du deuxième acte, moment de pure incantation habitée, tombe à plat et son duo avec le Hollandais prend des allures assez béates alors qu'on attend une révélation extatique. Du Hollandais justement, interprété par l'écossais Iain Paterson, on entend la lassitude de l'homme mais pas la noirceur dérangeante. Sa voix a une stature certaine mais est très encombrée de nasalités. Les prestations solistes les plus réussies sont en fait celles de Dmitry Ulyanov en Daland et Ladislav Elgr en Erik, tous les deux très à l'aise dans la vocalité de leur rôle où l'on entend encore poindre un romantisme quasi italianisant. Ulyanov qui compose un Daland patelin à souhait et Elgr qui donne une très belle et touchante substance au personnage d'Erik. L'autre rôle absolument central dans cette œuvre est celui du chœur ; en l'occurrence celui de l'Opéra des Flandres se montre excellent, avec à la fois une formidable engagement scénique, une pâte sonore de première classe, et une endurance à toute épreuve sur le troisième acte, harassant.
La montée en puissance de ce troisième acte est d'ailleurs un des moments les plus réussis, où le chef Cornelius Meister impose une progressive et irrésistible mise sous tension qu'on ne retrouve pas vraiment à d'autres moments. Sa direction a de l'ampleur et le sens du mouvement, jamais figée dans le pompeux, et l'orchestre fait preuve d'un impressionnant et beau répondant, encore plus beau quand les cuivres sont précis. Le sens de la couleur également, qui fait du chœur des femmes du deuxième acte non pas une ritournelle légère mais le ressassement perpétuel des ouvrières, parfaitement en harmonie avec la mise en scène. On a les nuances et la puissance, le grondement même, mais c'est presque trop beau ; nous impressionner ne suffit pas et pour nous saisir tout à fait, surtout à l'appui d'une dramaturgie aussi acerbe, il faudrait encore l'âpreté et le grinçant qui parcourent l'ensemble de la partition.
Quoi qu'il en soit de ces réserves, des faiblesses ou des aspects discutables de cette production, il s'en dégage une impression forte et captivante. Ce vaisseau tangue parfois dangereusement mais il a incontestablement fière allure.
Philippe Carbonnel
Wagner : Der Fliegende Holländer - Anvers, Opéra des Flandres, 29 octobre 2016 ; prochaines représentations les 15, 18, 20 & 22 novembre 2016 à Gent (direction Cornelius Meister) / operaballet.be/en/programme/2016-2017/der-fliegende-hollander
Photo © Annemie Augustijns
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