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Didone abbandonata de Hasse à l’Opéra royal de Versailles - Quand le seria est porteur d’émotion
Originaire d'une famille d'organistes de Lübeck, Johann Adolf Hasse (1699-1783) fut l'un des compositeurs les plus féconds de son siècle, assumant, par-delà ses racines allemandes, le plein épanouissement de l'opéra napolitain tardif, et plus particulièrement du genre seria sur des livrets de son contemporain Métastase - adepte, comme lui, des idées des Lumières. Après avoir étudié avec Porpora et Alessandro Scarlatti, entre autres, il devint maître de chapelle en 1727 au Conservatoire des Incurabili à Venise (il y composa son fameux Miserere) tout en restant membre de la Chapelle Royale de Naples.
Trois ans plus tard, bonheur nuptial pour le caro Sassone (comme l'appelaient les Italiens) : son mariage avec la cantatrice Faustina Bordoni, surnommée la « nouvelle Sirène». Une période particulièrement féconde s'ouvre alors pour le couple, qui durera plus de trente ans, l'événement majeur y étant le triomphe de Cleofide qui remporta à Dresde un triomphe éclatant en 1731, valant au compositeur le titre envié de maître de chapelle du roi de Pologne (qui était également prince-électeur de Saxe).
A la fin de 1733, les Hasse s'installeront définitivement à Dresde, entrecoupant leurs activités opératiques de congés libéralement accordés par le souverain (un séjour à Londres et Venise de fin 1734 à début 1737). Et en 1753, un voyage à Berlin à la cour de Prusse tournera au symbole, suite à une invitation de Frédéric II, le roi-musicien. Malheureusement, le temps des épreuves allait bientôt frapper les Hasse avec, avant tout, la mort du prince-électeur de Saxe en 1763 qui leur valut d'être congédiés sans la moindre pension. Le couple tentera alors sa chance à Vienne, où Johann Adolf écrira une série d'opéras pour la cour impériale (l'Egeria pour le couronnement de Joseph II). Mais le vent avait définitivement tourné, hâtant ce retour à Venise où Johann Adolf, pratiquement oublié, mourra en 1783, deux ans après le décès de Faustina.
Reste le lien privilégié que le compositeur entretint avec Versailles, invité en 1750 par Marie-Josèphe de Saxe, seconde épouse du Dauphin. Marie-Josèphe avait connu les Hasse dans sa jeunesse et c'est pour la remercier que Johann Adolf lui envoya une partition manuscrite de son opéra Didone abbandonata, composé en 1742, document qui servit sans doute à la représentation de l'ouvrage le 28 août 1753. Une exception d'ailleurs dans l'histoire de l'Opéra royal, peu concerné a priori par le style seria des Italiens, mais musicalement un chef-d'oeuvre où, traitant des amours tragiques de Didon et Enée, Hasse développe plus le sujet que Purcell, soucieux d'un « grand opéra » où s'affrontent rivalités guerrières et passions dans la trop humaine Carthage.
C'est le très avisé Michael Hofstetter (photo), fin connaisseur, s'il en est, de cette foisonnante fin de XVIIIe siècle (les Danaïdes de Salieri, Les Horaces et les Curiaces de Cimarosa, l'Ezio de Gluck) qui rend une nouvelle jeunesse aujourd'hui, en version de concert, à cette émouvante Didon de Hasse dont la résurrection à Munich, en mars 2011, fut un mémorable moment d'opéra, servi par des interprètes familiers du son d'époque. Les miracles se répétant parfois deux fois, il faut courir à cette production touchée par la grâce et qui magnifie la musique du caro Sassone, virtuosité et affects à parts égales, après un sommeil de 259 ans !
Roger Tellart
Hasse : Didone abbandonata (version de concert)
10 mars 2012 – 20h
Opéra royal de Versailles
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Photo : DR
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