Journal
Don Quichotte selon Louis Désiré à l’Opéra de Marseille – Eloge de la folie – Compte-rendu
Plus de vingt ans après la dernière sortie du Don Quichotte de Massenet à deux pas du Vieux-Port, c’était en mars 2002, l’Opéra de Marseille retrouve pour trois représentations le chevalier à la longue figure accompagné de son fidèle Sancho. L’occasion pour Nicolas Courjal et Hélène Mas d’inscrire – et de belle manière ! – de nouveaux rôles à leurs répertoires respectifs.
Il y a quelques semaines, ici même, nous écrivions que seul l’opéra italien arrivait à faire salle comble à Marseille. Force est de reconnaître, au soir de la première représentation du Don Quichotte de Massenet, que nous nous étions légèrement fourvoyé ; quelque 2000 spectateurs enthousiastes ont en effet réservé un triomphe à l’hidalgo et à son serviteur. Il faut dire que la quête de l’inaccessible étoile, extraordinairement mise en image et en scène par Louis Désiré et son équipe, n’a eu aucun mal à nous faire entrer de plain-pied dans un univers onirique empli de folie, d’amour impossible, de tendresse innocente et de cruauté malveillante.
© Christian Dresse
En noir et blanc, avec un lit à baldaquin comme fil conducteur de cinq actes fascinants, le metteur en scène détaille le rêve fou d’un homme qui veut sauver le monde, et sa dulcinée par la même occasion, le réalisme abrupt, mais empli de générosité et d’amour d’un serviteur loin d’être dupe des luttes perdues d’avance menées par son maître ainsi que la prise de conscience de la courtisane touchée au cœur éconduisant délicatement Don Quichotte après l’avoir longtemps moqué. Au sein de ce décor épuré qui devient un écrin pour le jeu des acteurs, les chevauchées à dos de Rossinante sont symbolisées par une statue de bronze, le moulin à vent n’est autre qu’une pyramide humaine et les lumières soignées et précises de Patrick Méeüs créent un environnement propice à exacerber la fragilité humaine et à illuminer le jeu des protagonistes.
Héloïse Mas (Dulcinée) et Nicolas Courjal (Don Quichottte) © Christian Dresse
En embrassant pour la première fois le rôle-titre, Nicolas Courjal place la barre très haut. Seulement vêtu d’une chemise de nuit, et parfois d’une redingote militaire élimée, il promène sa folie dans les couloirs d’un asile, visage parfois illuminé par sa quête, la foi en son idéal chevillée au corps. Habité par le rôle, il est émouvant sans excès, tellement juste dans le jeu. Sa voix, on la connaît, est en adéquation parfaite avec son incarnation, sombre et puissante. Plus habitué aux rôles de « méchants », il procure à son Don Quichotte toute sa fragilité et sa dimension émotionnelle.
A ses côtés, Marc Barrard excelle en Sancho. Le rôle, il le connaît ; lui aussi, ici, est d’une humanité qui fait frémir. On est loin du serviteur bedonnant et affamé mais plutôt dans la peau d’un ami, d’un protecteur qui accompagne avec bienveillance et tendresse le héros sur les chemins de la folie ; « Viens mon grand, mon grand… » : son chant tire les frissons. Sur scène la complicité entre les deux acteurs est idéale et fait du duo la pierre angulaire de cette production.
Nicolas Courjal (Don Quichotte) & Marc Barrard (Sancho) © Christian Dresse
Héloïse Mas prend, quant à elle, le rôle de Dulcinée ; jeu et chant soignés, elle n’a pas de mal à faire l’unanimité. Séduisante mais blasée demi mondaine, elle offre à son rôle de plus en plus d’épaisseur au fil de la représentation jusqu’à arriver à ce point d’orgue, questionnement ultime sur son existence, marqué par l’adieu exprimé presque à regrets mais qui peut sembler être une preuve d’affection ultime et la reconnaissance de la pureté de Don Quichotte. Auprès de la dame, Laurence Janot, Marie Kalinine, Camille Tresmontant, Frédéric Cornille composent idéalement un sombre quatuor libertin et railleur. Quant au chœur il prend sa part du succès sans problème sous la direction de Florent Mayet.
Gaspard Brécourt © DR
Avec Don Quichotte – « Comédie héroïque » créée en 1910 à Monte-Carlo avec Chaliapine dans le rôle-titre – Massenet livre une partition élégante tournée vers le théâtre musical et favorisant l’intimité ; sans oublier cependant d’introduire quelques espagnolades, mais de façon tout à fait maîtrisée. On apprécie aussi le caractère épique du combat contre le moulin à vent qui évite les accents pompiers. A la tête d’un orchestre de l’Opéra de Marseille en belle forme, Gaspard Brécourt offre une lecture en totale adéquation avec la tension émotionnelle de la mise en scène de Louis Désiré. Un parfait éloge de la folie en quelque sorte.
Michel Egéa
Massenet : Don Quichotte – Marseille, Opéra, 19 mars, prochaines représentations les 21 mars (20h ) et 24 mars (14:30) 2024 // opera.marseille.fr/programmation/opera/don-quichotte
Photos © Christian Dresse
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