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Festival de Prades 2024 – Beethoven chez les anges – Compte-rendu
« L’âme du festival est ici » : la formule de Pierre Bleuse dans son propos liminaire au concert inaugural du Festival de Prades 2024 vaut évidemment pour l’Abbaye Saint-Michel de Cuxa, centre de gravité de la manifestation ; mais aussi pour la formation qu’il s’apprête à conduire : l’Orchestre de chambre du Festival de musique Pablo Casals de Prades. Dès son arrivée à la direction artistique en 2021, le chef a en effet souhaité recréer l’orchestre du festival tel qu’on l’a connu à l’époque de Casals. Inspiré par l’exemple du Festival de Marlboro entre autres, Prades réunit donc désormais chaque année de jeunes musiciens, issus de grands conservatoires européens, qui passent une douzaine de jours encadrés par des aînés issus de phalanges réputées (le violon solo de l’Orchestre du Festival, par exemple, n’est autre qu’Eugène Tzikindelean, violon supersoliste du City of Birmingham Orchestra). Fructueuse transmission entre générations, en musique symphonique comme dans le cadre chambriste.
Côté symphonique, Pierre Bleuse a placé la barre très haut avec un programme inaugural réunissant le Concerto pour violon de Beethoven et la 9e Symphonie de Schubert. Les interprètes n’ont pas failli face au défi qui se présentait à eux. On est d’autant plus admiratif du résultat que le concert (à 19h30), capté par les caméras de France TV, avait été précédé en début d’après-midi d’une générale filmée en tenue de scène, le tout dans une chaleur on ne peut plus digne de l’été catalan. L’apprentissage du métier de musicien d’orchestre passe aussi par des expériences telles que celle-ci.
© François Brun - Festival Pablo Casals - Prades
Princière noblesse
L’âme du festival tient d’abord au souvenir et à l’exemple de Casals : aux cordes graves de l’orchestre revient d’offrir en prélude à la soirée, sans chef, le Cant dels ocells (Chant des oiseaux) de l’illustre violoncelliste. Moment suspendu que les applaudissements ne viennent pas gâcher ; on enchaîne avec Beethoven. Un défi particulièrement stimulant attend les jeunes instrumentistes : rien moins qu'accompagner l’un des meilleurs violonistes de la nouvelle génération, Daniel Lozakovich (photo), dans le premier des grands concertos symphoniques pour violon (1806).
À 23 ans seulement, le Suédois se distingue par un archet d’une exceptionnelle pureté. Entouré de musiciens peu ou prou de son âge dans leur grande majorité, il joue à plein la carte du partage ; tout dans son regard, ses expressions quand il se retourne vers l’orchestre le traduit. Et il peut compter sur la manière aussi ferme que souriante et suggestive avec laquelle Pierre Bleuse mène ses troupes pour déployer une vision qui le montre tout à la fois pleinement engagé dans la partition et comme la surplombant avec une princière noblesse. À l’écoute, les membres de l’orchestre font corps avec les intentions du soliste ; celui-ci sait aussi faire siennes, à l'occasion, les propositions venant d’une formation que le chef ne bride jamais inutilement. On imagine que Lozakovich, qui côtoie régulièrement d’illustres phalanges, n’a pas tous les jours l’occasion de s’offrir un bonheur complice de cette nature. Il le savoure ! L’ego se met sur le côté pour laisser parler l’intelligence et le cœur ... Pas le moindre geste d’autorité déplacé, mais une souveraine évidence, une simplicité absolue : Beethoven – aidé par Stradivarius ! – chante chez les anges dans le Larghetto, avant un Rondo enlevé, illuminé plutôt avec une humeur aussi variée que subtile. Après une telle merveille et sur les terres de Casals, seul Bach avait sa place au moment du bis.
© François Brun
Engagement et cohésion
Une seconde partie non moins exigeante attend Pierre Bleuse et ses troupes avec « La Grande » de Schubert. Un chef-d’œuvre qui peut, on le sait, se muer en « Interminable » si l’inspiration, l’engagement, la pulsation viennent à manquer. Strictement rien à craindre ici de ce point de vue ! Dès l’introduction des cors, qui procure vraiment la sensation de créer l’espace, immense, dans lequel l’interprétation va s'installer, on comprend que le but est clairement défini. Le chef et ses musiciens savent nous y mener avec une énergie, d’autant plus remarquable que, on l’a dit, les conditions thermiques ne sont pas des plus commodes et que l’orchestre s’est déjà pleinement donné en première partie.
© François Brun - Festival Pablo Casals - Prades
Majestueuse, l’architecture de la Symphonie en ut majeur se dessine avec force quoique sans jamais rien d’écrasant tant la direction conjugue en permanence respiration et vitalité rythmique. Un Schubert ultime mais en rien testamentaire. Tout au contraire, l’approche se veut résolument tournée vers l’avenir (admirable Scherzo, pré-mendelssohnien à bien des égards), foisonnante, avec un bel équilibre – et beaucoup de fluidité – entre les pupitres. Les musiciens ne sont arrivés à Prades que le jeudi précédent : une fois de plus, la cohésion que Pierre Bleuse a obtenue en un temps record impressionne.
On envie ceux qui auront le bonheur de découvrir en clôture de festival, le 8 août, un programme associant les Variations Rococo, sous l’archet d’Anastasia Kobekina et la « Pathétique », deux Tchaïkovski précédés d’une création mondiale pour cordes de Jean-Frédéric Neuburger.
Dans le Septuor de Berwald © François Brun - Festival Pablo Casals - Prades
Raretés chambristes
Entre temps, les jeunes musiciens de l’Orchestre de Prades et leurs encadrants n’auront pas chômé puisque « Jeunes Talents & Friends » propose quotidiennement à 11h, dans une commune proche de Prades, un concert de musique de chambre. La série fait une belle place aux œuvres rares. Ainsi pour le premier rendez-vous, à Catllar, devant le maître-autel baroque de l’église Saint-André, le programme présente-t-il deux ouvrages de Mozart qu’il n’est pas courant d’entendre en concert. Samuel Hirsch et Gatien Leray commencent par le 1er Duo en sol majeur KV 423 dans une interprétation pleine d’allant et de sens dramatique ; elle sait montrer en filigrane un tout jeune compositeur (nous sommes en 1783) impatient d’exprimer son génie à l’opéra.
Réunis autour d’Harold Hirtz, alto solo de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Felix Gazzaev (violon), Gatien Leray, Feodor Solonin (violoncelle) et Zoya Catta (cor), proposent ensuite le Quintette pour cordes et cor et mi bémol majeur KV 407 dans un esprit très Hausmusik : un Mozart placé sous le signe du plus amical dialogue où la corniste montre toute la souplesse requise dans l’échange avec les archets.
Œuvre rare encore, et auteur rare de surcroît, le Septuor en mi bémol pour violon, alto violoncelle, contrebasse, clarinette, cor et basson de Franz Berwald (1796-1868) clôt le programme. C’est au corniste Pierre Rémondière, membre du Klarthe Quintet, qu'est revenu de fédérer une équipe composée de Camille Aubrée (violon), Andjela Josifoski (alto), Cyprien Lengagne (violoncelle), Blanche Ignacio (contrebasse), Arianna Pizzi (clarinette) et Geoffrey Riera (basson). Le compositeur suédois avait d’évidence médité l’exemple de celui de Beethoven avec d’entreprendre son Septuor, mais l’œuvre n’en témoigne pas moins d’une fraîcheur charmeuse, avec de séduisantes idées mélodiques dans le mouvement lent et, de bout en bout, un rôle important dévolu à la clarinette : Arianna Pizzi s’y révèle aussi sensible que convaincante.
Alain Cochard
Festival de Prades 2024 ; 29 juillet (Abbaye Saint-Michel de Cuxa) et 30 juillet (église Saint André / Cattlar) ; jusqu'au 8 août : prades-festival-casals.com/
Photo © François Brun - Festival Pablo Casals - Prades
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