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Festival Passions baroques 2024 (Montauban) – Une engageante diversité — Compte-rendu

 
 Cette 10e édition de Passions baroques, Jean-Marc Andrieu, directeur artistique du Festival et chef-fondateur, en 1986, des Passions – Orchestre Baroque de Montauban, se devait de la fêter dignement en dépit des contraintes budgétaires déjà évoquées (1) et plus que jamais d’actualité. Si cette édition, qui pourtant réussit le tour de force d’une véritable et engageante diversité, offre moins de rendez-vous musicaux et sous des formats réduits, elle demeure fidèle à ses missions, stimulée par un public répondant fidèlement présent : le concert de clôture du 6 octobre en l’abbaye de Belleperche (Cordes-Tolosannes – formidable Musée des Arts de la Table) : Les Musiciens de la Chambre du Roy (Couperin, Marais, Rameau), a dû être doublé en raison d’une forte demande.
 
Jean-Marc Andrieu © DR
 
Pour la soirée d’ouverture du 27 septembre à Saint-Jacques de Montauban – précédée dans le foyer du Théâtre Olympe de Gouges, à l’invitation du Festival, du lancement de la branche Occitanie de la Fevis (Fédération des Ensembles Vocaux et Instrumentaux Spécialisés) (2) –, le choix s’est porté sur le compositeur le plus emblématique des Passions : Jean Gilles (1668-1705), dont la formation a gravé le Requiem, les Lamentations, la Messe en , le Te Deum et deux Motets, pour lesquels Jean-Marc Andrieu a réalisé un travail éditorial sans précédent.

 
Une ferveur et une continuité de chaque instant
 
 Deux des Lamentations ouvraient le concert, œuvres de jeunesse confondantes de plénitude et d’élévation auxquelles répond, sur le plan harmonique, structurel et vocal, un aplomb magistral, qu’il s’agisse des interventions solistes ou des diverses manières de concevoir les dialogues. Jean-Marc Andrieu dirigeait l’orchestre associé à l’excellent Chœur de chambre Dulci Jubilo de Christopher Gibert (désormais au nombre des onze ensembles indépendants de la Fevis Occitanie, tout comme La Main Harmonique), l’un et l’autre en formation réduite mais incontestablement « optimisée » par une ferveur et une continuité de chaque instant. La voix reine y est celle de haute-contre, ici Bastien Rimondi : présence stylée et projection splendides.
 

© André Bourhis
 
 S’ensuivit le fameux Requiem, Jean-Marc Andrieu à la flûte à bec rejoignant l’orchestre et cédant la direction à Christopher Gibert. La voix de basse y est particulièrement à l’honneur : le Montalbanais Pierre-Yves Cras – son timbre franc et généreux et un sens affirmé de la phrase font merveille dans ce répertoire. François-Nicolas Geslot, toujours d’une prenante sensibilité, chantait la partie de taille, Anaïs Rabary, timbre affirmé et chaleureux, celle de dessus : se trouve ainsi confirmée une bienveillante passation-transmission, amorcée lors du concert Campra-Charpentier de 2023, entre deux générations d’artistes, l’une et l’autre pleinement engagées.

 
Une affaire de famille, d’amitié et d’estime réciproque
 
Difficile d’imaginer, sur quelques concerts, diversité plus appréciable. L’ensemble Café Zimmermann (3) offrait le lendemain au Théâtre un florilège chambriste lui-même hautement contrasté et enthousiasmant – où l’œuvre que l’on préfère est invariablement, bien que toutes soient absolument individualisées et peu comparables, celle que l’on est en train d’écouter… À la fois une affaire de famille, d’amitié et d’estime réciproque, Bach père et fils dialoguant avec Telemann, parrain du fils, Carl Philip Emanuel. Lumineuse idée que de faire précéder les œuvres en quatuor de pages solistes permettant d’apprécier tour à tour chaque instrumentiste en solo, Telemann introduisant Bach père et ce dernier Telemann ; Bach père en préambule à Bach fils, et Telemann à… Telemann.
 

Café Zimmermann © Auxie Boivin

Autant d’occasions de faire resplendir le violon de Pablo Valetti, cofondateur avec Céline Frisch de l’Ensemble, la viole de gambe d’Étienne Mangot (entendu la veille au sein des Passions) et la flûte de Karel Valter – trio de protagonistes indéniablement au premier plan mais dont le plein épanouissement dépend du soutien du clavecin : indispensable Céline Frisch, cependant que les dialogues entre clavecin et consorts, moins exposés que les parties solistes mais tout aussi essentiels, ravissent l’esprit et une oreille attentive.
 
 
Hommage à deux Barbara

 
Le dimanche était dévolu à la voix une et multiple, la soprano Amandine Bontemps, Marwane Champ au violoncelle et Léo Brunet au théorbe rendant hommage en l’église de Gibiniargues, à Puycornet (puis au Musée Ingres-Bourdelle de Montauban) à deux Barbara : Barbara Strozzi et notre Barbara nationale, insigne mélodiste dans une tradition bien française. Partenaire du Festival, l’abbaye de Beaulieu-en-Rouergue, haut lieu d’art contemporain, accueillait quant à elle un programme profane a cappella de La Main Harmonique (photo), alternant Renaissance et musique d’aujourd’hui.

 

La Main Harmonique © Henri Aubrun 
 

Disposés en cercle au centre de l’abbatiale, les cinq chanteurs pivotaient d’une place à chaque groupe de pièces, permettant au public réparti sur les quatre côtés d’entendre de façon optimale chacun d’eux : les sopranos Sofie Garcia (remplaçant in extremis Nadia Lavoyer – chapeau pour un programme d’une telle exigence !) et Judith Derouin, le ténor Fabrice Foison, la basse David Witczak, le contre-ténor et chef Frédéric Bétous. Costeley, Cléreau et Lejeune côté français ; Mazzocchi, Gesualdo, Monteverdi et Schütz en sa période vénitienne côté italien (tous d’une vertigineuse inventivité à haut risque) ; quatre pages presque insolites de Paschal de L’Estocart, trois de Dowland : mille et une manière d’évoquer délices et (surtout) peines d’amour, ponctuées de trois moments contemporains signés Violeta Cruz (commande de La Main Harmonique), Alexandros Markeas (que l’on connaît notamment pour sa collaboration avec Les éléments), enfin Caroline Marçot dans une œuvre inspirée des rubaiyat (quatrains) du poète persan Omar Khayyām. Émerveillement devant tant de prodiges vocaux : tout l’art d’une écoute intime incroyablement attentive et réciproque entre les chanteurs, mais aussi de leur public.
 
L’édition 2025 – croisons les doigts – déjà en gestation pourrait avoir pour fil rouge l’année 1643 : mort de Claudio Monteverdi (et de Frescobaldi), naissance de Marc-Antoine Charpentier, avec Gilles l’autre compositeur de cœur des Passions.

Michel Roubinet

Festival Passions baroques (Montauban)27, 28 et 29 septembre 2024
www.les-passions.fr/fr/festival-passions-baroques/edition-2024/
 
 
 
(1) www.concertclassic.com/article/festival-les-passions-baroques-2023-montauban-format-repense-compte-rendu
 
(2) www.fevis.com/la-federation/presentation/
     www.animanostra.fr/single-post/le-chœur-de-chambre-dulci-jubilo-fait-partie-des-11-ensembles-indépendants-de-la-fevis-occitanie
 
(3) https://www.concertclassic.com/article/une-interview-de-celine-frisch-et-pablo-valetti-fondateurs-de-lensemble-cafe-zimmermann-la
 
 
Photo © Auxie Boivin

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