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« Fosse notes, une autre histoire de l’Opéra » par Jean-Noël Crocq – Un regard singulier

Des dessins découverts sur une partie de clarinette basse de la Walkyrie ... L’idée lui trottait dans la tête depuis le début de sa carrière à l’Orchestre de l’Opéra de Paris en 1974 au poste de « Clarinette basse Solo jouant également la clarinette », mais ce n’est qu’une fois à la retraite que Jean-Noël Crocq (né en 1948) s’est lancé dans un projet qui parvient à son aboutissement avec « Fosse notes ». Il sort beaucoup de livres sur la musique ; on n’en a pas vu passer un, aussi original, depuis longtemps.

Les partitions conservées à la Copie-Bibliothèque de l’Opéra de Paris, à la Bibliothèque de l’Opéra de Paris et à la Bibliothèque nationale de France ont été les terrains de chasse d’un auteur en quête des annotations, dessins, caricatures, etc. que les musiciens ont inscrits sur leurs parties. Parmi les près 3000 clichés accumulés –  des documents allant de la fin du XVIIIe siècle au XXe siècle –, Jean-Noël Crocq a fait son choix pour composer ce qu’il désigne comme « une autre histoire de l’Opéra ».
Au fil de 250 pages se succèdent quantité d’images drôles, émouvantes, impertinentes, instructives, que les commentaires aussi documentés que sensibles – et directement vécus dans nombre de cas –  de J. N. Crocq enrichissent grandement. L’opéra c’est aussi la fosse, l’orchestre, personnage à part entière de nombre de partitions ; ce livre nous y entraîne pour découvrir les joies, les petits soucis, et les drames, qui ponctuent la vie de cette micro-société. On sait gré à « Fosse notes » d’envisager sous cet angle singulier un univers où la préoccupation vocale relègue parfois, hélas, le volet instrumental au second plan.
 

Portrait de Paul Taffanel © OnP

Lire « Fosse notes » – le déguster, faudrait-il plutôt écrire – permet de se glisser dans l’intimité des musiciens, de découvir des échos de leur époque : requêtes délicieuses (« auriez-vous l’amabilité de me tourner la page ? »), traits d’humour, remarques caustiques (« et ta sœur » inscrit auprès d’un pppppp exigé par un chef, « imbécile ! » lancé à Valentin par un altiste sur sa partie de Faust, « Dieu que cet opéra est emmerdant, on y périt d'ennui » en mode rébus sur la Favorite, etc.), préoccupations matérielles (petits comptes, listes de courses), désirs d’évasion, de vacances (le dessin d’un voilier en mer accompagné d’un pressant « J’ai besoin de congés ! »), références à l’actualité (probable portrait de Louis XVI sur une partie de Castor et Pollux, portrait de Louis XVIII sur Dieu et la Bayadère de Catel, mention de la traversée de la Manche par Louis Blériot sur une partie de Tannhaüser, scores électoraux du général de Gaulle sur Roméo et Juliette), bulletins de santé ( « Rossini arrivé malade à Paris, fin de mai 1843 » sur Moïse et Pharaon,  « Le 17/4/64, De Gaulle est opéré de la prostate » sur Tannhaüser ! ), etc.
 

La Nuit de Walpurgis de La Damnation de Faust vue par un flûtiste © BnF

Les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra se doublent parfois de dessinateurs et caricaturistes au geste sûr et au regard aiguisé. « Fosse notes » présente de petits croquis entre collègues, mais aussi des portraits de compositeurs (Grétry, Rossini, Verdi, Wagner, Meyerbeer, Offenbach ...), de chefs (Habeneck, Furtwängler, Ruhlmann, Walter, Gaubert, Knappertsbuch, Plasson ...). Un chapitre « chefs » que J. N. Crocq accompagne de souvenirs des baguettes sous la conduite desquelles il a travaillé (beau passage sur les répétitions de Saint-François d’Assise avec Osawa et Messiaen, admiratives lignes sur Kiri Te Kanawa et Solti, sur Georges Prêtre, qui contrastent salutairement avec les jugements d’autres membres d’orchestres français s'agissant de ce dernier ...).

Observée de la fosse, la scène inspire aussi les musiciens, qui se plaisent à dessiner les moments clés des ouvrages interprétés, certains personnages ou certains chanteurs illustres. On voudrait tout citer d’un livre qui dévoile de nouveaux détails à chaque fois qu’on le prend en main. Impossible de traduire en quelques lignes les surprises et les bonheurs qu’il vous réserve, mais on ne saurait conclure sans évoquer les remarquables dessins colorés tirés d’une partie de violon II du Papillon d’Offenbach, à laquelle J. N. Crocq fait plusieurs fois référence au cours de son ouvrage ; ils nous valent, du point de vue graphique, quelques uns de ses plus étonnants moments.

Un certitude en tout cas, si vous cherchez un cadeau de propre à séduire à coup sûr un ami mélomane, avec « Fosse notes », vous le tenez ! « Un livre dédié à ceux qui tournent les pages d’une partition ainsi qu’à ceux qui les écoutent jouer avec attention », précise joliment l’auteur ...

Alain Cochard

« Fosse notes, une autre histoire de l’Opéra », préface de Christian Merlin (Ed. Première Loges, 250 p., 29,90 €) // www.editions-premieresloges.com/
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