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Journées de Zarzuela à Cuenca - La touche contemporaine - Compte-rendu
Sous le titre et le thème « Jacinto Guerrero, amores y amoríos » (Jacinto Guerrero, amours et amourettes), la quatrième édition des Journées de Zarzuela, organisées comme chaque année par la Fondation Guerrero à Cuenca (fabuleuse cité accrochée à un piton rocheux dans la Manche de Don Quichotte), entend cette fois rendre hommage au compositeur auquel l’institution doit son nom, dans le contexte de son environnement artistique. Le cycle de conférences et rencontres à la charge de différents spécialistes, présente durant les trois jours des aspects captivants et peu connus de l’histoire du genre zarzuelero dans les années 1920, époque de la gloire de Jacinto Guerrero (1895-1951) : ainsi de la communication relative aux nombreux théâtres lyriques bâtis à Madrid en ces années, ou de celle tout aussi remarquable à propos du poids de la censure sur la musique et la scène. À relever aussi des expositions illustrant le monde du théâtre lyrique espagnol en ces heureuses années 20, avec des documents d’époque rarement présentés.
El sobre verde © Fundación Jacinto e Inocencio Guerrero
Mais, comme de règle, ces Journées s’agrémentent de manifestations musicales sur le vif. Celles-ci comptent, au sein de différents vestibules de l’Auditorium de Cuenca, des spectacles pour tous publics, comme celui revenant à la compagnie « Las Amantes » qui chante avec allégresse la vie féminine immergée dans le monde de la zarzuela, ou celui de la compagnie « Zarzuguiñol » avec marionnettes et déguisements pour le plus vif plaisir des nombreux petits et grands spectateurs. Mais il faut surtout retenir les soirées musicales, qui offrent des approches particulièrement originales. Ainsi le concert « Guerrero contemporain », programmant des pages pour piano écrites par dix compositeurs actuels à partir de thèmes du maestro célébré. Il réunit la fine fleur de la musique contemporaine espagnole, avec les noms mondialement reconnus de Tomás Marco, Antón García Abril, Luis de Pablo (pour une pièce de ton humoristique), mais aussi les plus jeunes Pilar Jurado (dans une magnifique page complexe), Alicia Díaz de la Fuente (très inspirée) ou José María Sánchez-Verdú (le plus audacieux). Ces œuvres proviennent de commandes de la Fondation en 2007, créées l’année suivante. Il s’agit ainsi d’une reprise bien venue et presque nécessaire, offrant une touche de modernité, qui inclut de surcroît la création de la nouvelle version étoffée de la pertinente pièce de García Abril, Variaciones sobre La montería (Variations sur La montería, célèbre zarzuela de Guerrero). Le tout, transmis par la technique virtuose et incessamment musicale du pianiste Jorge Robaina.
El sobre verde © Fundación Jacinto e Inocencio Guerrero
Le grand rendez-vous, toutefois, revient à la représentation de El sobre verde. C’est un versant moins connu et plus léger de Guerrero, celui de l’auteur de « revues » alors de mode. L’ambition ne saurait prétendre à celle des grandes zarzuelas inspirées du maestro (Martierra, La fama del tartanero, Los gavilanes ou El huésped del Sevillano), mais avec un charme divertissant auquel on peut succomber. El sobre verde (« L’Enveloppe verte », ou autrement dit « L’Enveloppe bien garnie »), créé triomphalement à Barcelone en 1927, en constitue un parfait exemple. La pièce se présente comme une scène de genre en deux actes, qui narre les aventures d’un clochard devenu riche par le plus heureux des hasards et s’en va dilapider sa fraîche fortune au cours d’un voyage dans les Amériques. Une fable gentille mais aussi corrosive, sur une musique énergique et piquante qui mêle sans complexe chotis (danse madrilène dérivée du scottish écossais), tango et charleston. Pour l’occasion de cette production, se livre une nouvelle partition orchestrale, écrite par Nacho de Paz (chef d’orchestre et compositeur, invité régulier de l’Ensemble Intercontemporain) pour onze instrumentistes (en place de la quarantaine de l’orchestre original) en formation de jazz band, celle de l’ensemble Gran Vía 78. Autre manière de récréation musicale actuelle. Le résultat sonore, dans la salle principale de l’Auditorium, ne manque pas de saveur, quand bien même il confine parfois au minimalisme.
Il apporte cependant le meilleur soutien à la distribution vocale, composée de dix chanteurs-acteurs, qui excellent dans les chœurs et ensembles, mais également pour les quelques solistes : particulièrement Gerardo Bullón, baryton de belle stature, l’experte Lola Casariego et l’assurée Ana Cristina Marco. La direction musicale de Nacho de Paz confère à l’ensemble l’impétuosité que l’œuvre requiert. Pour sa part, la mise en scène d’Alberto Castrillo-Ferrer trouve la vivacité indispensable, autour d’un simple décor de tréteaux, des éclairages et costumes bien tracés, parmi des mouvements et situations irrésistibles. Un total succès, musical autant que scénique, que le public récompense d’une trépidante et méritée ovation.
Pierre-René Serna
Journées de Zarzuela – Cuenca (Espagne) - Théâtre Auditorium, 30 septembre, 1er et 2 octobre 2016.
Photo (El sobre verde) © Fundación Jacinto e Inocencio Guerrero
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