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Kent Nagano dirige La Walkyrie au TCE - Une inoubliable Brünnhilde - Compte rendu

A un an des célébrations du bicentenaire Wagner, le TCE a créé l’événement en proposant trois ouvrages majeurs en version de concert et à un haut niveau artistique (1). A l'heure où les grandes distributions se font rares – surtout dans la capitale ! - celle réunie par Michel Franck pour Die Walküre est presque sans faute. Enfin délesté de son éternelle froideur et de cette rectitude qui confinait à la mécanique, osons l'écrire, métamorphosé, Kent Nagano dirige brillamment cette première journée du Ring. La complicité sonore entre le chef américain et les instrumentistes du Bayerisches Staatsorchester (qu'il dirige depuis 2006), est immédiatement perceptible, par le soin apporté aux couleurs, l'équilibre des forces et la qualité même de la substance orchestrale.

Poète maniant l'allusion quand il le faut, athlète lorsque cela s'impose, Nagano inventif à souhait, conduit le discours avec une passion continue, sans oublier de laisser parler la musique en détaillant chaque commentaire, ce qui nous vaut des scènes de liaison d'une richesse infinie, qui en disent long sur la psychologie des personnages et sont autant de signes avant-coureurs des malheurs à venir. Saisi au col, l'orchestre obéit sans courber l'échine à son maître, dans un esprit de cohésion qui rappelle à la fois la battue ardente de Keilberth (à Bayreuth en 1955) et celle moelleuse et vibrante de Sawallisch (à Munich en 1989).

Valeureux et sonore, Lance Ryan s’efforce de nuancer son épaisse ligne de chant, mais son Siegmund au timbre terne et métallique ne fait pas rêver. Sa jumelle défendue par la voix large d'Anja Kampe a plus d'atouts dans son jeu, même si son aigu peine à s'élever avec aisance surtout au premier acte (où sont les Rysanek, Varady et Meier ?) ; il faut donc attendre le second, puis le troisième (adieux à Brünnhilde) pour être convaincu par une interprétation qui dévoile alors avec intensité les linéaments du personnage.

Belle intervention de la basse estonienne Ain Anger, impressionnant Hunding, tabac pour la mezzo Michaela Schuster, hollywoodienne Fricka, à qui il suffit d'un duo pour crever l'écran et laisser le public, ainsi que son mari, sans voix. C'est peut être ce qui manque au baryton, un peu court d'ambitus et de projection, Thomas J. Mayer, élève de Kurt Moll, par ailleurs très en situation dans son récit-confession du 2 (« Als junger Liebe ») et dans les adieux à sa fille (« Leb wohl, du kühnes, herrliches Kind ») relancés avec une grande justesse.

Nina Stemme (photo), enfin, impériale dans sa robe totem, par la sérénité de ce chant ample et fluide, la plénitude et la résistance de ses moyens et la généreuse beauté de son souffle, évoque en un instant les plus grandes Brünnhilde du passé. Qui depuis Jones n'avait été en mesure de lancer cris de guerre si fiers et assurés, trilles et ut compris ? Qui depuis Mödl avait annoncé si posément sa mort à Siegmund, avec ce timbre charnu et central parcouru de frémissements ? Qui depuis Behrens n'avait demandé avec tant d'ardeur et de féminité à son père, de ne pas être livrée au premier venu sans avoir été encerclée par les flammes ? Soprano dramatique incandescente, à la voix suave, dense et extensible, Nina Stemme tout en s'imposant comme une vraie personnalité vocale, semble avoir réalisé l'impossible : la synthèse de toutes les Brünnhilde.

Prochain rendez-vous parisien avec cette immense artiste : Tristan und Isolde dirigé par Chung, à Pleyel le 13 octobre 2012.

François Lesueur

(1)Parsifal par Daniele Gatti (les 6 et 9 mars) et Tristan und Isolde par Andris Nelson (le 11 mars).

Wagner : Die Walküre (version de concert) – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 24 mai 2012

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Photo : Tanja Niemann
 

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