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La Bohème à Nantes - Une révélation nommée Grazia Doronzio - Compte-rendu
En quoi tient le génie de Bohème ? On voudrait d’abord répondre en quoi en son sens du temps dramatique : quatre tableaux brefs qui montrent à l’œuvre une progression d’autant plus inexorable qu’elle ne délaisse pas les scènes de genre – tout le II chez Momus – ou l’intrigue amoureuse parallèle, et son brillant contrepoint, illustrés par la scène de ménage de Musette et de Marcello à la Barrière d’enfer. Ce pas si vif qui semble dire à chaque instant que le temps est compté pour tous, et pas seulement pour Mimi, la régie habile et souvent inspirée de Stephen Langridge en a saisi l’esprit : littéralement on est cueilli par la mort de Mimi comme si on venait tout juste de s’asseoir dans son fauteuil.
Rarement une mise en scène de Bohème nous aura fait le drame aussi immédiat. Langridge transpose, évidemment, de Murger à nos jours, et le tableaux de Momus se transporte en une sorte de Galerie Lafayette tout en blanc de neige, Parpignol en Père Noël et les enfants tendant leurs billets pour recevoir leurs jouets. On frise la satire sociale mais Langridge y renonce car on comprend vite que ce décor n’est que pour mieux illustrer la vanité de Musette, qu’on retrouvera redevenue d’ailleurs bonne fille dès le tableau suivant. On aime a vrais dire ce Momus différent, plus aigre, plus ironique. Et on a été scotché comme le public par toute la première scène du dernier tableau, comme vue d'au-dessus.L’idée est brillante, mais Langridge est obligée d’y déroger dès que l’action reprend, tout comme il avait bien fallu amener une table de banquet en plein magasin pour finir par faire un repas. Il aime mieux se dédire que de se justifier, restant avant tout un homme de théâtre et ses idées, des idées de pure inspiration, fugitives en somme, mais toujours sorties de la musique.
Et quel théâtre : la mort de Mimi où plus personne ne se regarde, on avait déjà vu cela chez Jonhatan Miller, mais Langridge la traite tout a fait différemment, sans appuyer, on voudrait écrire « sotto voce ». Le spectacle, sortant de la scène très proche et assez resserrée du Quai, flottait un peu dans le hall d’aéroport de la Cité des Congrès, quelques décalages dans les ensembles complexes chez Momus, mais broutille, car Mark Shanahan dirige tout ouvert, fluide, lyrique mais sans atermoiement, ce qui donne aux ponctuations dramatiques un sens encore plus terrible. Ce raidissement de l’orchestre à l’irruption de Mimi venue mourir parmi ses amis, quel coup de poing au plexus ! Décidément Shanahan est un fabuleux chef lyrique, on ne comprends pas que la Grande Boutique ne l’engage pas illico.
Distribution formidable : un trio de clefs de fa époustouflant. Quel Manteau nous fait le Colline de Gordon Bintner, basse lyrique plus que baryton, quelle chaleur quel élan (et quelle joie aux saluts !) dans la voix et le jeu du Marcello d’Armando Noguera, quel art dans le Schaunard d’Igor Gnidii ! Julie Fuchs dessine une Musette stylée au possible, même si on l’eût aimée plus piquante chez Momus, mais c’est la classe !, et au III elle est exemplaire, réglant tout et pas seulement l’emplette du manchon.
Bravo à Scott Piper toujours aussi artiste en Rodolfo, élégant et brûlant pourtant, dévasté lorsqu’il comprend. Le cœur vous monte à la gorge en entendant sa déploration pourtant très sombre. Deux mots, mais tout bascule. Et quelle révélation que la Mimi de Grazia Doronzio (photo). Dès ses premiers mots le timbre d’ambre, la longueur du souffle, l’expression fragile mais la voix si assurée nous avait captivés, mais à la fin on ne supportait plus l’idée de la voir mourir. Elle vous entraîne si loin dans le personnage qu’on finissait par craindre qu’elle ne se relève pas de son grabat. Aux saluts, Mark Shanahan avait bien raison de la soulever en l’étreignant !
Jean-Charles Hoffelé
Puccini : La Bohème
Nantes, Cité des Congrès, le 4 mai 2012
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Photo : Kristin Hoebermann
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