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La Chronique de Jacques Doucelin - Bons anniversaires à l’Orchestre de Paris !
C’est un double anniversaire que s’apprête à célébrer l’Orchestre de Paris le 20 décembre salle Pleyel. Notre phalange de prestige fut, en effet, créée par Marcel Landowski et Charles Munch en 1967, il y a tout juste quarante nans. Mais la Société des Concerts du Conservatoire dont elle est directement issue, le fut quant à elle dès 1828, voici 180 ans le mois prochain, par Habeneck, le chef qui révéla en cette même année 1828 au jeune Berlioz les Symphonies de Beethoven, un choc qui engendrera deux ans plus tard la Symphonie Fantastique. Rien d’étonnant dès lors que le chef-d’œuvre d’Hector Berlioz soit devenu l’emblème de Munch et du nouvel orchestre.
La conjonction de ces deux dates significatives de notre vie musicale a donné lieu à un livre passionnant de Cécile Reynaud et Catherine Massip(1) qui replace cette formation symphonique dans le temps et l’espace avec notamment les différents lieux qui l’ont accueillie au long d’une histoire de près de deux siècles. Sa riche iconographie n’en constitue pas le moindre attrait. Mais quid du son de cet orchestre et de ceux qui l’ont forgé ? Là, il ne faut manquer sous aucun prétexte pour trouver la réponse le film admirable réalisé sur documents d’archives de l’INA par un orfèvre, Christian Labrande, fondateur de la célèbre série Musique filmée à l’auditorium du Louvre : c’est vingt minutes de mémoire vivante de l’orchestre et des musiciens qui l’ont fait ce qu’il est. Il sera projeté le 20 décembre à Pleyel à 16h30 et 19h20.
On n’y retrouve pas sans émotion ses principaux chefs de pupitre des quarante dernières années et ses directeurs musicaux successifs, de Munch à Eschenbach en passant par Karajan, Solti, Barenboïm et Bychkov, sans oublier Serge Baudo bras droit de Munch, et parmi les grands chefs invités Giulini, Böhm, Sawallisch, Boulez et Mehta. Les extraits de répétitions avec la liberté de ton dont usent certains maestros ne manquent pas de sel, de pertinence t d’actualité. Je vous recommande cette question posée aux cordes dès 1967 par Charles Munch avec un je ne sais quoi de commisération dans la pupille : « combien avez-vous de stradivarius ? Ah oui, à Boston, il y en a vingt. Ca explique la différence. »
Ce diagnostic sans concession prouve que le père fondateur n’était pas dupe : quatre décennies plus tard, le pupitre des violons reste le maillon faible de la phalange. Avec son humour féroce, Barenboïm prétendait que les violons avaient séjourné dans l’eau trop longtemps… Trêve de plaisanterie peu charitable. Car du livre comme des documents filmés, ressort l’histoire riche et brillante d’un ensemble participant aux grands événements musicaux de son temps, à commencer par des créations comme Tout un monde lointain de Dutilleux avec Rostropovitch que Baudo dut bisser un soir de juillet 1970 au Festival d’Aix-en-Provence. La célébration du passé n’est pas forcément gage d’avenir. Elle ne dispense pas, en tout cas, d’y réfléchir sérieusement et de le préparer.
Qu’on ne s’y trompe pas : c’est parce qu’on aime cet ensemble et qu’on nourrit une authentique estime pour ses principaux solistes parmi les plus brillants de l’école française, qu’on se refuse à dissimuler la réalité présente. Certains, un peu naïfs, pensent qu’il va suffire de construire un nouvel auditorium baptisé « Philharmonie de Paris » de plus de 2000 places à La Villette en 2012 et de remplacer Eschenbach par Paavo Järvi en 2010 pour que les mélomanes se pressent à nouveau aux guichets. C’est oublier que le retour à Pleyel après le détour catastrophique par Mogador n’a pas suffi à ramener le public : combien de programmes n’y sont plus donnés qu’une seule fois au lieu de deux faute de clientèle ? Conséquence : le rapport entre les subventions et le nombre d’auditeurs est particulièrement défavorable. Les comptables de Bercy ne s’y trompent pas lorsqu’ils remarquent dans leur jargon que le « prix du fauteuil à l’Orchestre de Paris est beaucoup trop cher »…
C’est que les temps ont bien changé depuis sa création en 1967, époque bénie où l’essor de la musique classique pouvait s’appuyer à la fois sur le fabuleux travail d’initiation réalisé en amont par les JMF après la guerre et sur l’explosion technique du 33 tours qui ont assuré la réussite du fameux plan Landowski qui ne fit que répondre à une demande à travers tout l’Hexagone. Aujourd’hui, par la faute de l’Education Nationale ruinée par les conséquences de mai 68, les soi-disant « élites » n’ont plus aucune culture musicale classique. On ne la pratique plus dans la petite bourgeoisie. Où est le temps où, amateurs éclairés, les grands médecins faisaient du quatuor à cordes chez eux avec la participation de quelques musiciens professionnels amis ? On peut le regretter. Mais c’est un fait social et culturel dont on doit tenir compte pour changer de stratégie.
Que faire, me direz-vous ? Former les jeunes, ce qui se fait à travers tous les « Services Jeune Public » créés par les principales institutions musicales françaises ; aller chercher un nouveau public là où il vit. Il ne faut surtout pas s’enfermer, se barricader sur la défensive dans des lieux ultra-spécialisés qui éloignent et effrayent le public potentiel. Notez que ce déclin du public est un phénomène purement parisien. Voyez les incroyables succès de Michel Plasson investissant la Faculté et la Halle aux grains à Toulouse, de Jean-Claude Casadesus ans qui est allé chercher son public dans les lieux les plus improbables du Nord, ou Alain Lombard prenant pied dans les palais des sports de Strasbourg, puis de Bordeaux : en trois décennies, le symphonique a conquis les régions. Horreur ! Paris est à la traîne… et l’orchestre qui porte son nom aussi. On connaît les solutions. C’est le courage qui manque.
Car au fait, les responsables de nos orchestres parisiens se souviennent-ils, savent-ils même ce qui se passait à la création de l’Orchestre de Paris ? Munch et Karajan allaient donner le second concert de la série dans un théâtre de la décentralisation, en l’occurrence le TEP (Théâtre de l’Est Parisien) preuve qu’on n’a pas attendu aujourd’hui pour se préoccuper des populations « défavorisées de l’Est parisien » ! Un peu de courage que diable et revenez à la tradition initiée par vos dieux Munch et Landowski !
En 1967, l’orchestre jouait aussi dans les universités parisiennes. Ca n’est pas le goulag d’aller jouer au moins une fois par semaine dans une de ces salles de la périphérie parisienne qui n’attendent d’ailleurs que cela. Et qu’on n’use pas d’argument hypocrite du genre : « nous ne voulons pas prendre la place de l’Orchestre d’Ile-de-France »…Tu parles ! Munch ne faisait pas tant de manières. Ses troupes non plus, du reste. Puisse ce passé glorieux dont vous êtes si fiers à juste titre vous aider à ne pas entrer à reculons dans le futur.
Et bons anniversaires !
Jacques Doucelin
(1) Editions du Patrimoine (156 p. - 35 euros)
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Photo : DR
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