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La Chronique de Jacques Doucelin - Compositeurs en panne de livret
Il y a toujours autant de compositeurs, et de qualité, parmi les jeunes. Et pourtant, la majeure partie de leur production lyrique ne dépasse pas le stade de la création scénique avant de sombrer dans les oubliettes de l’histoire de la musique. Que se passe-t-il donc ? Comment expliquer cette épidémie ? Le dernier cas en date – le très attendu Akhmatova commandé par Nicolas Joel pour l’Opéra de Paris au surdoué de la jeune génération Bruno Mantovani - pourrait bien nous fournir une piste.
Quel sujet ! On en salivait d’avance : pensez donc, la plus célèbre poétesse russe du XXe siècle, victime du sadisme ordinaire stalinien, campe si parfaitement l’héroïne lyrique type, quelque part entre Fidelio et Mélisande. Bref, une histoire de femme victime de la méchanceté des hommes, une inépuisable source d’émotions et de larmes… Or, on est sorti de l’Opéra Bastille l’œil sec et l’oreille frustrée, terriblement déçu comme si on nous avait vendu des carottes qui ne cuisent pas ! C’est en effet une histoire de cuisine, signée du « dramaturge » maison Christophe Ghristi.
Car l’opéra – comique ou tragique peu importe – est genre impur qui mêle depuis son invention dans un salon de l’aristocratie florentine au tournant des XVIe et XVIIe siècles théâtre et musique. Au-delà de la querelle byzantine sur la primauté de la note ou du mot, qui a accompagné son développement durant les quatre derniers siècles et du dosage variable entre les deux composants, il n’y a pas d’exemple d’opéra réussi qui ne repose sur un texte de qualité. Et pas seulement littéraire. D’abord, dramatique, scénique : comme ses pères fondateurs n’ont cessé de le répéter, c’est une action en musique.
Sans parler des opérettes d’Offenbach ou de leurs succédanés anglo-saxons, les comédies musicales influencées par le bon vieux vaudeville parisien, pas un chef-d’œuvre lyrique qui ne soit assis sur un bon texte, des Noces de Figaro ou Don Giovanni à La Traviata en passant par Carmen ou Wozzeck cet extraordinaire scénario de film tiré par Berg de la pièce éponyme du romantique allemand Georg Büchner. Les cuisiniers qui ont tricoté le texte d’Akhmatova sont passés à côté d’un sujet en or et n’ont pas facilité la tâche à Bruno Mantovani !
Certes, celui-ci n’est pas seul de son espèce et son aîné Pascal Dusapin qui en est à sa cinquième œuvre lyrique est victime de son goût immodéré pour les textes abscons et les littérateurs obscurs : nul n’est obligé de sacrifier au genre opéra, mais s’il le fait, encore lui faut-il respecter la loi du genre. Ou alors choisir le quatuor à cordes qui a, du reste, permis à Dusapin de signer ses plus belles réussites. Le cadet en est à son second essai lyrique et malgré toute sa science de l’orchestre, il a livré une partition monocolore où les mêmes procédés se répètent pour produire une grisaille qui n’est que le miroir de ce que projette le livret. Et le fait de placer l’ouverture, qui paraît interminable, en conclusion de l’ouvrage n’arrange rien…
Tout cela est d’autant plus rageant qu’on connaît les recettes pour réussir et les pièges à éviter. Après une Salambô d’après Flaubert, Philippe Fénelon se prépare à livrer la saison prochaine une Cerisaie à l’Opéra de Paris. On peut ou pas apprécier le style de Fénelon, mais c’est sûr, ce sera une « action musicale ». L’avant-garde n’est d’ailleurs nullement rétive au genre opéra. Il n’est que de citer tous les succès mérités du Belge Philippe Boesmans qui a toujours fait équipe pour ses livrets avec Luc Bondy, et le Hongrois Peter Eötvös digne successeur du György Ligeti du Grand Macabre inspiré de Michel de Ghelderode.
Non, l’opéra n’est pas mort. Il n’est pas davantage hostile à la modernité pour peu qu’on accepte la règle du jeu qui consiste à mettre en musique un vrai texte. Demandez un peu à Richard Strauss et à son cher Hugo von Hofmannsthal !
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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