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La Chronique de Jacques Doucelin - Culture : du bon usage de la crise
Il faut se méfier des apparences. Qui tenterait aujourd’hui de dresser un bilan de la saison qui s’achève dans le domaine du spectacle vivant aurait bien du mal à trouver des raisons de s’inquiéter : les théâtres ont fait le plein à Paris, les Opéras dans la capitale comme dans les régions ne connaissent aucune récession et le public n’a pas non plus déserté les salles de concerts de l’Hexagone. Quant aux festivals estivaux, la saignée annoncée n’a pas encore eu lieu. C’est à peine si s’amorce une cure d’amaigrissement.
Et si le Festival d’Aix en Provence a réduit, lui, sa durée de façon drastique à trois semaines au lieu des quatre habituelles, c’est la faute à Wagner, ses bailleurs de fonds publics et privés ayant, en effet, exigé de son directeur Bernard Foccroulle des coupes claires dans sa programmation pour éponger définitivement le déficit provoqué par la folie qu’a représentée La Tétralogie imposée en son temps par Stéphane Lissner, afin d’obtenir la construction d’une salle fermée, en l’occurrence le Théâtre de Provence. Mais les subventions ont été maintenues à la hauteur prévue. Et c’est heureux !
Au fil des conversations, on apprend que les choses sont pourtant de plus en plus difficiles un peu partout, les subventions tombant très tardivement, quand elles ne sont pas d’ores et déjà carrément amputées, ce qui augmente d’autant le coût des emprunts que les responsables sont contraints de souscrire pour assurer la jointure. Ca n’est hélas, pas être excessivement pessimiste que d’affirmer qu’on n’a encore rien vu. Car il suffit d’écouter les différents ministres concernés, et d’abord le premier ministre lui-même : les caisses sont vides et tout le monde doit faire des efforts. Signe de ces temps difficiles pour tous, c’est Bercy qui serre les cordons de la bourse directement et sans états d’âme.
A la guerre économique comme à la guerre, me direz-vous. Mais la France étant le pays qui subventionne le plus la culture, celle-ci est d’autant plus fragile et menacée par les mesures d’austérité générale qui s’annoncent. La prochaine saison devrait être d’autant plus difficile à boucler qu’à l’amputation générale de 5-6% des aides de l’Etat, s’ajoutera l’alourdissement des charges incombant aux collectivités locales, régions, départements et communes, dont la part n’est nullement négligeable depuis la mise en place de la décentralisation. Et je ne vous parle même pas du projet de suppression d’un des échelons de notre administration locale ! Car l’effet Clochemerle était jusqu’à présent compensé par l’une des collectivités territoriales qui, dans le meilleur des cas, se substituait charitablement à celle qui se montrait défaillante pour des raisons de politique politicienne…
Si les grandes boutiques parisiennes – Opéra de Paris et Comédie Française – n’ont pas trop de souci à se faire en raison de leur prestige, l’inquiétude est plus tangible pour les scènes et les institutions régionales et municipales qui bénéficient d’ores et déjà de moyens plus limités, mais n’en constituent pas moins le terreau de toute la vie culturelle de la nation, et partant le « bassin d’emploi » naturel de nos artistes, les plus jeunes en particulier qui peuvent y approfondir leur formation. La municipalité d’Avignon refuse d’abonder les dépenses de son orchestre qui assure, en outre, le fonctionnement de l’Opéra municipal. Ce qui est très grave, au cas où ce genre de situation viendrait à se multiplier, c’est que localement une économie de bout de chandelle peut entraîner en aval des conséquences, par effet de domino, sur l’ensemble de la vie musicale et lyrique de toute une région, voire de tout le pays.
Si l’on songe que l’Opéra de Paris absorbait à lui seul la moitié des crédits alloués à la musique dite « savante » du temps qu’il existait encore une direction nationale de la musique créée en 1967 par Marcel Landowski (supprimée, dans un premier temps, suite à un rapport de Jacques Rigaud préconisant la fusion des directions du théâtre et de la musique), on a d’autant plus lieu de s’inquiéter qu’aujourd’hui le spectacle vivant a été dépecé et intégré autoritairement à des ensembles à la fois plus vastes et plus incertains comme la Création et le Patrimoine qui rendent la lecture des lignes budgétaires quasi impossible… et permet au ministère des finances de faire à peu près ce qu’il veut en toute impunité, puisque lorsque arriveront les conséquences de ses décisions, il sera déjà …trop tard !
Mais la catastrophe est-elle inéluctable ? Comme nous l’indiquions, la générosité de l’Etat français et de nos collectivités territoriales à l’endroit de la culture et de ses desservants, devrait – pour peu que la pénurie soit justement répartie par de vrais professionnels… - être un aiguillon. Sur les dizaines de fêtes de village pompeusement baptisées festivals, combien méritent vraiment ce label ? Il va falloir regarder la réalité en face. Quant aux institutions régionales ayant pignon sur rue, les Théâtres et les Opéras en particulier, la nouvelle contrainte financière va peut-être enfin les contraindre, au détriment certes de l’ego trop souvent démesuré de leurs directeurs, à coopérer et à coproduire davantage avec leurs voisins immédiats ou non.
Une saine économie peut être mère de la sagesse. D’ailleurs, il n’y a rien de nouveau dans ces conseils de bon sens : voyez l’Opéra du Rhin irriguant Strasbourg, Colmar et Mulhouse, ou la parfaite fusion des scènes lyriques d’Angers et de Nantes. De même s’amorce une collaboration entre Metz et Nancy : si la crise la précipite, elle aura eu du bon ! J’ajoute qu’en musique le mouvement baroque s’est d’abord développé sans aucune subvention : c’est en effet par sa seule qualité qu’il a imposé ses choix esthétiques au public d’abord, aux tutelles administratives ensuite. On a vu récemment, le fameux « 104 » rue d’Aubervilliers faire naufrage par péché d’orgueil... Puisse-t-on ne pas oublier l’exemple plus d’actualité que jamais du Théâtre National Populaire, celui de Jean Vilar et de Jeanne Laurent : tout était fait pour la satisfaction du public. Qui dit argent public dit service du public. La culture n’est pas une exception.
Nul n’est obligé de tendre la sébile, comme disait Maurice Druon…
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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