Journal

La Chronique de Jacques Doucelin - Dominique Meyer met Vienne à l’heure de Paris

Alsacien du Haut-Rhin, Dominique Meyer termine à la fin de cette saison un règne d’une décennie faste à la tête du Théâtre des Champs Elysées qu’il aura marqué d’une empreinte à la fois lyrique et symphonique. Il part en effet à la rentrée prochaine à la conquête de Vienne. Pas question ici de jouer sur les mots, mais il faut savoir que l’Opéra de Vienne est l’une des institutions essentielles de la capitale autrichienne, l’un de ses centres nerveux dont le destin intéresse l’ensemble de ses deux millions d’habitants et auprès duquel notre PSG fait bien pâle figure. Quand l’Opéra de Vienne tousse, c’est tout le gouvernement autrichien qui a la grippe !

Les chauffeurs de taxi viennois savent quel opéra est à l’affiche de la Staatsoper le soir même comme leurs collègues parisiens connaissent le nom et l’heure de la revue du Lido ou du Moulin Rouge. Ils n’ignorent rien non plus des intrigues lyriques qui secouent la vénérable maison tant elles font les gros titres de la presse locale : elles constituent à proprement parler des affaires d’Etat. Bref, le poste de directeur à l’Opéra de Vienne n’est guère enviable tant il s’apparente essentiellement à un siège éjectable, ou à tout le moins à un punching-ball contre lequel s’escriment des éditorialistes locaux en veine de notoriété.

On n’en finirait pas de dénombrer les victimes célébrissimes de ces cabales où le nationalisme le plus étroit côtoie la jalousie la plus sordide. A commencer par le maestro des maestros, l’empereur Herbert von Karajan, pourtant fils de Salzbourg, dont seule la mort mit fin à ce jeu du « je t’aime moi non plus » ! L’Américain né à Neuilly Lorin Maazel y laissa des plumes et le Sarde Claudio Abbado dut mobiliser toutes les ressources d’un sens inné de la diplomatie pour déjouer les innombrables traquenards des ennemis tapis dans l’ombre. C’est dire si la décision de Dominique Meyer n’a pas manqué d’intriguer, voire d’inquiéter ses vrais amis !

Qu’allait-il bien pouvoir faire dans cette galère ? Poser une telle question c’est compter sans la qualité essentielle de Dominique Meyer, ce calme inaltérable, cette faculté d’entendre tout sans ciller, cette solidité bonhomme assise sur une rondeur de toute sa personne contre laquelle les attaques ruissellent comme les montres molles de Dali. C’est surtout compter sans les qualités de diplomate de ce passionné de musique baroque, qui n’a jamais rien demandé, attendant tranquillement qu’on le sollicite. Certes, certains pourront considérer qu’il a préparé l’opération de longue date en gagnant d’abord peu à peu la confiance de la Philharmonie de Vienne dont les membres forment une démocratie musicale sourcilleuse, véritable cheville ouvrière de l’Opéra d’Etat autrichien. Il les a, en effet, régulièrement réinvités à Paris pour trois rendez-vous chaque saison. Et des liens n’ont évidemment pas manqué de se tisser.

N’empêche que comme tout étranger, il est attendu avec des escopettes ! Cela ne l’a pas empêché de lever le voile sur sa première saison viennoise. Même observée de Paris, celle-ci amorce un vrai tournant. Car si Dominique Meyer n’est certes pas homme à forcer le passage, il sait planter des coins dans les habitudes. Ainsi le nouveau directeur musical de l’Opéra de Vienne l’Allemand Franz Welser-Möst ouvrira la saison avec une reprise de La Bohème et s’il dirigera aussi la première nouvelle production, le Cardillac de Paul Hindemith, la deuxième nouveauté sera l’Alcina de Haendel avec Marc Minkowski à la tête de ses Musiciens du Louvre Grenoble : une première absolue que cette présence de «baroqueux » pur jus dans la fosse !

« Le répertoire lyrique ne commence pas en 1782, a plaidé Dominique Meyer. Pourquoi le baroque n’aurait-il pas sa place ici ? Vienne n’a-t-il pas été à l’origine de sa redécouverte par le Viennois Nikolaus Harnoncourt à la tête de son Concentus musicus ? » Argument imparable ! Succédant à Karajan en 1982 à la tête du Festival de Salzbourg, Gerard Mortier l’avait ouvert avec le même Harnoncourt et Beethoven pour démontrer que la page était bien tournée... Mais l’Opéra de Vienne est moins souple qu’un festival. C’est une grosse machine qui ne peut pas faire demi tour sans risque. C’est un musée, un théâtre de répertoire, qui joue presque chaque soir des spectacles différents en alternance. Il possède aussi une troupe de quelque quarante cinq chanteurs, un ballet et des chœurs célèbres. On est loin du « garage » qu’est le Théâtre des Champs Elysées. Tout cela permet d’afficher 47 titres dans la saison, soit trois fois plus pratiquement que l’Opéra de Paris qui fonctionne par séries d’ouvrages.

Aussi bien, Dominique Meyer a-t-il décidé de renégocier les conventions collectives afin de pouvoir augmenter le nombre de répétitions pour mieux casser le ronron des reprises. Mais pour l’heure, c’est par l’arrivée de nouveaux interprètes qu’il impose sa marque. Certains pourraient même être surpris par le nombre de Français à l’affiche, d’abord des chefs, de Louis Langrée à Jérémie Rhorer en passant par Philippe Auguin, Frédéric Chaslin, Alain Altinoglu ou Jean Christophe Spinosi. Côté mise en scène, on trouve surtout l’ancien administrateur du Palais Garnier Jean Louis Martinoty qui entame avec Don Giovanni et Les Noces de Figaro une trilogie Mozart-Da Ponte. Une vraie révolution dans la capitale de la musique occidentale dans la continuité de l’appel à Boulez et à Chéreau pour célébrer le centenaire du Festival de Bayreuth en 1976. Plus qu’une politique culturelle, c’est un manifeste européen. Reste à voir si la greffe prendra.

Affaire à suivre !

Jacques Doucelin

Vous souhaitez réagir à cet article ?

Les autres chroniques de Jacques Doucelin

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles