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La chronique d'Emilie Munera - Inoubliable Kaija ...
La saison 2022/2023 aura débuté et se sera achevée par la disparition d’artistes emportés par une longue maladie. En septembre dernier, on apprenait le décès prématuré du pianiste Lars Vogt (1970-2022). Le monde musical perdait un pianiste solaire au jeu sensible, délicat et poétique, l’un des plus grands chambristes de sa génération, et un chef d’orchestre adoré de ses musiciens. Il laisse orphelin l’Orchestre de chambre de Paris qu’il dirigeait depuis 2020, ainsi que tous les mélomanes qui suivaient avec assiduité ses concerts toujours inspirés.
© Maarit Kytöharj
Neuf mois plus tard, c’est la mort d’une légende de la musique qui bouleverse la fin de la saison : celle de la compositrice Kaija Saariaho (1952-2023). Depuis quelques semaines, on savait que l’état de santé de la compositrice finlandaise déclinait rapidement. On la savait aussi tout entière absorbée par la composition d’un concerto pour trompette qu’elle souhaitait terminer avant sa disparition. Dans les dernières semaines de sa vie, Kaija Saariaho n’était que musique ; la flamme qui l’animait lui a permis d’achever sa partition : Hush sera créé à Helsinki, ville natale de la compositrice, le 24 août prochain.
Saariaho aura marqué l’histoire de la musique, notamment celle de l’art lyrique. En 1992, en assistant à une représentation du Saint-François d'Assise de Messiaen mis en scène par Peter Sellars et chanté entre autres par la soprano Dawn Upshaw, la musicienne de 40 ans a une révélation : elle doit elle aussi s’essayer à l’opéra ! Après plusieurs incursions lyriques elle présente, en 2000 au Festival de Salzbourg, L'Amour de loin, œuvre écrite sur un livret d’Amin Maalouf dont Peter Sellars signe la mise en scène. Le succès est immédiat et l’impose comme l’une des plus grandes créatrices d’opéra de son temps. L'Amour de loin ouvre les portes des plus grandes scènes (la partition est donnée au Châtelet dès 2001, puis à Helsinki trois ans plus tard). En 2016, Saariaho sera la deuxième femme jouée au Metropolitan Opera de New York - cent treize ans après la Britannique Ethel Smyth ...
Impossible de résister, il est vrai, à une écriture d’une telle volupté. Dans L'Amour de loin Saariaho déploie une inspiration narrative, sensuelle et raffinée … La musique évoque les sons de la nature, source d’inspiration constante dans son oeuvre… Une musique puissante, onirique et d’une beauté quasi-surnaturelle. La compositrice pensait que L’Amour de loin serait son unique opéra : pourtant, quatre ouvrages suivront dont le dernier, Innocence, a fait l’événement au Festival d’Aix en Provence en 2021. Cette partition choc, inspirée d’un terrible fait divers, lui vaudra d’ailleurs le Prix « compositeur » des Victoires de la musique classique l'année suivante.
Innoncence au Festival d'Aix-en-Provence en 2021 © Jean-Louis Fernandez
Kaija Saariaho n’aimait pas qu’on lui rappelle qu’elle était compositrice … Elle craignait d’être “ghettoïsée” aux côtés d’autres créatrices et rêvait que « sa musique soit jugée pour ce qu’elle était, sans être toujours réduite à [son] genre », comme elle le confiait dans une interview à Vincent Agrech. Elle a pourtant inspiré toute une génération de compositrices, telle l’Américaine Sarah Kirkland Snider : « En plus d'être l'une des compositrices les plus brillantes et accomplies de notre époque, elle était mère de deux enfants, remarque cette dernière, Kaija Saariaho est le premier nom que je cite quand des jeunes compositrices me demandent si elles peuvent avoir des enfants. C’était cela, je crois Saariaho : une incroyable créativité mais aussi un modèle en tant qu’artiste et en tant que femme ».
A l’heure où l’on exhume de nombreuses partitions oubliées de compositrices du passé, gageons que la musique de Kaija Saariaho, elle, ne quittera jamais le répertoire.
Emilie Munera
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