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L’année Berlioz selon François-Xavier Roth – « Quel moderne et quel avant-gardiste était Berlioz ! »
2019 s’annonce comme une année Berlioz, avec de nombreuses manifestations destinées à commémorer les 150 ans de la disparition du compositeur (mort précisément le 8 mars 1869). À cette fin, le ministère de la Culture a chargé Bruno Messina, par ailleurs directeur artistique depuis dix ans du Festival Berlioz de La Côte-Saint-André, de préparer et coordonner ce cent-cinquantième anniversaire. La Philharmonie de Paris, par exemple, n’est pas en reste qui programme toute une série de concerts de janvier à juin 2019 sous le titre « Berlioz le fantastique », dont deux week-ends spécifiques (1). Hors de France, de nombreuses institutions musicales s’apprêtent également à honorer la mémoire de l’illustre compositeur.
Battant de la cause de Berlioz depuis déjà de nombreuses années, le chef d’orchestre François-Xavier Roth (photo) œuvre pour sa part en France et hors de France dans le cadre de son « Cycle Berlioz », désigné comme tel (2). Ce chef multiplie les responsabilités : artiste associé au Festival Berlioz de La Côte-Saint-André et à la Philharmonie de Paris, Generalmuzikdirektor de Cologne (directeur de l’Opéra et de l’orchestre de la ville, le Gürzenich-Orchester, où il est reconduit jusqu’en 2022), « Principal Guest Conductor » du London Symphony Orchestra, ainsi que la direction deux orchestres français, Les Siècles, sur instruments d’époque, et le Jeune Orchestre européen Hector-Berlioz, à côté de nombreuses invitations à diriger des orchestres internationaux, sans compter différentes actions comme des actions pédagogiques...
Il était on ne peut mieux désigné pour illustrer par le propos cette année Berlioz qui se profile sous les dehors les plus encourageants.
Est-ce que vous pouvez nous présenter vos multiples interventions pour l’année Berlioz 2019, déjà entamées et commencées depuis fin 2018 ?
François-Xavier ROTH : Lister les événements serait fastidieux. Je crois que l’on peut déjà commencer par présenter le disque qui va sortir en janvier avec Harold en Italie et Les Nuits d’été. Au concert, nous allons donner plusieurs fois la Symphonie fantastique et son complément pour récitant, chœur et chanteurs, Lélio. Il faut aussi souligner ce « concert monstre », en juin à la Philharmonie de Paris, avec la Symphonie funèbre et triomphale et d’autres pages à caractère cérémonial et monumental. Nous allons donner également, lors du Festival Berlioz de La Côte Saint-André au mois d’août, la première partie des Troyens, La Prise de Troie. On va aussi avec Les Siècles réenregistrer la Fantastique, en livrer une version DVD avec les répartitions et les instruments Berlioz. Et puis bien sûr à Cologne, où je vais donner une nouvelle production de l’opéra Béatrice et Bénédict, mais en 2020. Ainsi que d’autres concerts avec mon orchestre du Gürzenich-Orchester de Cologne, à Vienne avec le Wiener Symphoniker, avec le London Symphony... Je fais du Berlioz dès que je peux, partout ou je peux, et c’est vrai qu’en cette année 2019 ce sera particulièrement intense.
Berlioz par Granville © DR
Pouvez-vous revenir sur le sujet du « concert monstre » ?
F.-X. R. : C’est un peu le Berlioz qu’on ne connaît pas tellement en France, qui réunit à côté de la Symphonie funèbre d’autres pages cérémonielles, dont la version orchestrée de La Marseillaise et les cantates L’Impériale, Chant des Chemins de fer et Le Temple universel. C’est aussi une partie de sa personnalité musicale avec laquelle les Français ont souvent eu du mal. C’est le Berlioz du grandiose, ces effectifs pléthoriques qui parfois font s’interroger. Quand par exemple je dirige Richard Strauss, et que le compositeur indique des effectifs de cordes extrêmement précis, cela ne vient pas à l’idée de trouver cela extravagant. Le premier à avoir vouloir vraiment indiquer de façons très précise, c’est Berlioz, et qui nous paraîtrait aujourd’hui quelque fois excessif. Mais quand on applique ces indications, sur le nombre d’exécutants mais aussi la manière d’exécuter, on s’aperçoit qu’à chaque fois il a raison et que chaque fois cela fait sens. Notamment, comme c’est mon cas, quand on utilise les instruments qu’il a connus. C’est un peu cet aspect que l’on va revisiter. Le concert s’intitule « concert monstre », il pourrait aussi s’appeler « ces célèbres inconnus de Berlioz ».
François-Xavier Roth et Les Siècles © José Albornoz
Pourriez-vous dire quelques mots d’un ouvrage inconnu justement, Le Temple universel ? Car ce concert est aussi un concert utopique, dans la mesure où il s’agit de l’esprit utopique de Berlioz. Et contrairement à ce que l’on croit parfois, ce n’était pas forcément dans l’air du temps : quand Berlioz dit dans Le Temple universel « Embrassons-nous par-dessus les frontières », quelques années peu après, puisque c’est une œuvre de la toute fin de la vie du compositeur, éclate la guerre entre la Prusse et la France !
F.-X. R. : Je vois chez Berlioz peut-être un geste assez identique à la succession en musique de Beethoven. C’est-à-dire un musicien qui a cette conscience que l’humain et l’art ne font qu’un. Que la musique peut arriver à changer l’homme. Quelque chose de très marquant chez Beethoven et qui est aussi saisissant chez Berlioz. Cela mêlé à son expérience personnelle, quand on sait que Berlioz a énormément voyagé et rencontré souvent des succès hors de son pays d’origine où il avait du mal à s’imposer. Ce qui pourrait expliquer ce message universaliste d’abolition des frontières. Un aspect humaniste, quasi politique, qui voudrait que la musique soit au-delà du simple décoratif, mais un art au centre de nos existences. Personnellement, c’est ce qui me touche beaucoup, entre autres, chez Berlioz.
Vous allez reprendre cette œuvre, Le Temple universel, que vous aviez donnée lors du dernier Festival de La Côte-Saint-André, mais de manière différente…
F.-X. R. : En effet. Avec un effectif de choristes plus étoffé, de plusieurs centaines de chanteurs provenant de différentes chorales. Dans deux langues en français et en anglais, tel Berlioz l’avait souhaité. Un geste grès fort !
Vous multipliez les responsabilités, et parmi celles-ci, deux orchestres français : Les Siècles et le Jeune Orchestre européen Hector-Berlioz. À propos des Siècles, quel est l’avenir, sachant que la subvention locale a, au moins en partie, sauté ?
F.-X. R. : L’avenir est assez incertain. Et c’est vrai que c’est quelque chose qui m’inquiète beaucoup. Car Les Siècles, c’est un peu le projet musical de ma vie. J’espère que cet orchestre va pouvoir trouver les moyens de subsister. Nous sommes pris dans une sorte de piège. À savoir que cet orchestre a existé avec des moyens très précaires, et aujourd’hui alors que son rayonnement en France et à l’étranger est incontesté, on reste toujours dans une économie très artisanale. Nous avons déjà des soutiens, comme le Mécénat Musical de la Société Générale, un soutien extraordinaire, ou le département de l’Aisne. Dans ce dernier cas, de plus en plus compliqué. Mais j’espère que l’on va sortir de cette précarité et arriver à trouver des solutions budgétaires pour cet orchestre.
Bruno Messina © Festival Berlioz
Pourrions-nous aussi évoquer un autre orchestre que vous avez fondé, le Jeune Orchestre européen Hector-Berlioz ?
F.-X. R. : C’est un projet qui se développe et va avoir les moyens de donner encore plus dans le futur. Grâce bien entendu à Bruno Messina et son Festival Berlioz, pour lequel le projet de cet orchestre avait été d’abord conçu, mais aussi la région, le département de l’Isère où cet orchestre a rencontré un succès retentissant lors des Festival Berlioz. C’est un projet d’orchestre d’académie qui n’existe nulle part ailleurs. C’est-à-dire concentré sur l’époque et l’instrumentarium berliozien, mais aussi sur ses grandes œuvres. Y sont réunis des étudiants qui viennent de France mais aussi de l’Europe entière, et parfois même au-delà de l’Europe, et qui ont en commun de mieux connaître comment sonnait les instruments de Berlioz de son temps, ces instruments français si particuliers, et comment était jouée cette musique. Une aventure qui poursuit celle des Siècles, avec laquelle cet orchestre travaille en formation. Et souvent ces instrumentistes ont eu alors la révélation de la richesse de cette musique. Il est amusant de noter l’anecdote de quelques bébés, nés de musiciens de cet orchestre, dénommés Hector !
D’où vous vient cet intérêt, cette passion, pour Berlioz ?
F.-X. R. : J’ai eu la grande chance quand j’ai commencé à diriger, comme assistant au London Symphony Orchestra, au moment où était chef permanent Sir Colin Davis. Ma première action comme assistant était pour quoi ?... Pour Les Troyens, en 2000 au Barbican de Londres ! Je m’en souviens comme si c’était hier. J’avais photocopié la grande partition Bärenreiter, car je n’avais pas les moyens de l’acheter à l’époque, puis commencé à travailler dans l’ombre de Sir Colin. Un être absolument extraordinaire. Il y avait aussi à ce moment à ses côtés, Janine Reiss, sa chef de chant. Et j’ai réellement découvert Les Troyens, que je ne connaissais pas ! Quelques mois plus tard, j’ai fait la rencontre de John Eliot Gardiner. J’ai été son assistant sur deux productions de Berlioz : Benvenuto Cellini à Zurich et Les Troyens de 2003 au Châtelet. Grâce à ces deux géants berlioziens, j’ai pu vraiment rentrer en contact avec cette musique. Une chance extraordinaire. Bien sûr, Colin Davis n’était pas Gardiner, et inversement. J’ai donc eu droit à deux visions, deux lectures, assez différentes. Mais j’ai été marqué au fer rouge par ces deux rencontres.
Pierre Boulez © Ros Ribas
Ne pourrait-on pas dire que si Berlioz est un compositeur d’une certaine époque, en même temps il la dépasse et qu’il a des répercutions dans notre époque actuelle ? Vous, qui œuvrez dans toutes les époques de la musique dont l’époque actuelle, qui verriez-vous dans l’héritage de Berlioz dans la musique contemporaine ?
F.-X. R. : Je crois que ce n’est très compliqué de dire qu’au XXe siècle, il y a Pierre Boulez. Boulez était d’une certaine manière un Berlioz du XXe siècle, en ce sens, outre qu’il était un compositeur et un formidable animateur de la vie musicale, qu’il a aussi montré un chemin. C’était également un utopiste de la musique. Une folie très saine sur ce que la musique devrait être dans notre société. On pourrait aussi penser à Stockhausen, en ce sens que lui aussi comme Berlioz met en scène les instrumentistes. Aujourd’hui, je penserais à Philippe Manoury, dans ce sens où ses pièces, en particulier celles que je lui ai commandées pour Cologne, ont à cœur de réinventer le rapport de l’orchestre et des musiciens face au public. Une filiation avec Berlioz. D’ailleurs, Manoury cite très souvent comme exemple absolument visionnaire et révolutionnaire la première phrase, en tête du Chapitre 1 du Traité d’Instrumentation de Berlioz : « Tout corps sonore mis en œuvre par le Compositeur est un instrument de musique. » Berlioz est un précurseur de ce que va être la musique électroacoustique et toutes les recherches instrumentales. Et cette phrase montre quel moderne et quel avant-gardiste était déjà Berlioz, dans cette façon de ne pas réduire les instruments à simplement ce que l’on connaît dans son temps.
Propos recueillis par Pierre-René Serna le 19 novembre 2018
Signalons la parution toute récente, sous la plume de Pierre-René Serna, de Café Berlioz (bleu nuit éditeur), ouvrage qui conte à la manière d’une discussion de café les faces cachées et inédites du compositeur (ndlr)
(1) Week-end Berlioz 1 : du 11 au 13 janvier 2019, avec en particulier Harold en Italie, Les Nuits d’été, L’Enfance du Christ. Week-end Berlioz 2 : du 24 au 26 mai 2019, avec en particulier le Te Deum et Lélio.
philharmoniedeparis.fr/fr/programmation/les-week-ends-thematiques/week-end-berlioz-1
philharmoniedeparis.fr/fr/programmation/les-week-ends-thematiques/week-end-berlioz-2
(2) En particulier :
- 10 janvier 2019, Théâtre impérial de Compiègne ; 11 janvier, Philharmonie de Paris : Les Siècles, Tabea Zimmermann alto, Harold en Italie, Carnaval romain, ouverture de Benvenuto Cellini, ouverture de Béatrice et Bénédict, extraits de Roméo et Juliette ;
- 19 et 20 janvier, Vienne Musikverein ; 21 et 22 janvier, Graz Musikverein ; 24 janvier, Bregenz Festspielhaus : Wiener Symphoniker, Antoine Tamestit alto, Harold en Italie ;
- 12 mai, Théâtre de Caen ; 23 mai, Toulouse Halle aux Grains ; 24 mai, La Rochelle Scène nationale La Coursive : Les Siècles, Marie Lenormand mezzo, ouverture des Francs-Juges, Les Nuits d’été, Symphonie fantastique ;
- 26 mai, Philharmonie de Paris : Les Siècles, Michael Spyres ténor, Florian Sempey baryton, National Youth Choir of Scotland, Symphonie fantastique, Lélio ;
- 24 juin, Philharmonie de Paris : « Concert monstre », Les Siècles, Jeune Orchestre européen Hector-Berlioz, Chœur et orchestre des Grandes Écoles, Chœur Sorbonne Université, Chœur de la Cité internationale universitaire de Paris, Bryan Register ténor, L’Impériale, Chant des Chemins de fer, Le Temple universel, Symphonie funèbre et triomphale, Hymne des Marseillais.
Sites internet :
F.X. Roth
www.francoisxavierroth.com/
Les Siècles
lessiecles.com/
Gürzenich-Orchester Köln
www.guerzenich-orchester.de/
Photo © DR
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