Grâce à la persévérance de Patrice Martinet qui le dirige depuis 1993, l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet s'est installé dans le paysage musical parisien avec une programmation singulière et de grande qualité. Quelle meilleure illustration en trouver que Le Balcon de Peter Eötvös qui vient d’être représenté sous la direction de Maxime Pascal à la tête de son ensemble Le Balcon (en résidence à l’Athénée). Très remarqué dans Ariane à Naxos, il y a un an exactement sur cette même scène, le jeune chef français (28 ans) a une fois de plus donné la mesure de son talent. On décrit parfois Maxime Pascal comme un spécialiste de musique contemporaine. Si cela peut amuser les étiqueteurs... Il est un remarquable musicien tout court ! La manière précise, sensible, énergique et envoûtante dont il conduit ce Balcon en fournit s’il était besoin un preuve supplémentaire.

Amplification, sonorisation ? C’est bien plus d’une appropriation totale du son qu’il faut parler dans un spectacle où la technique (Florent Derex pour la projection sonore et Augustin Muller pour la réalisation informatique) prolonge les intentions musicales et révèle toute sa pertinence en parfaite osmose avec la mise en scène fluide et finement réglée de Damien Bigourdan et la scénographie réussie de Mathieu Crescence (Pascale Lavandier signe les costumes). Tout ici concourt à un grand moment de théâtre musical.

Bordel tendance SM ici que celui de Mme Irma - en cagoule spandex, y compris le chef, les musiciens se mettent à l’unisson ! - ; entre le monde d’illusions de l’établissement et la “réalité“ de la ville en plein désordre, l'intelligence du travail du tandem Bigourdan-Crescence (on n’oublie pas Jérémie Gaston-Raoul aux lumières et Yann Chapotel pour la partie vidéo) est de faire vaciller les lignes, d’instiller le doute – la “sonorisation “ participe évidemment aussi dans cette démarche.

Un spectacle d’une force rare s’offre au spectateur, servi par un plateau de bout en bout idéal. Vraie révélation, Rodrigo Ferreira (Mme Irma) fascine par sa présence autant que l’ambiguïté créée par le choix du metteur en scène de faire de la patronne du claque un rôle travesti. Magnifique Carmen de Shigeko Hata, qui montre l’incroyable malléabilité d’une voix aux aigus stratosphériques et son sens du théâtre. Tous ici le possède d’ailleurs au plus haut point : l’Evêque de Florent Baffi, l’impayable Juge de Patrick Kabongo et le Général de Vincent Vantyghen sont remarquablement campés, au même titre que l’imposant Chef de la police de Jean-Claude Saragosse. Bien que modestes, les personnages de Chantal et Roger permettent à Laura Holm et à Guillaume Andrieux de se distinguer. Quant Elise Chauvin (la Femme, la Voleuse, la Fille), elle occupe ses différents emplois avec égal bonheur.

Le Balcon se range indiscutablement parmi les spectacles musicaux les plus forts et les plus aboutis de la saison parisienne qui touche à sa fin. On aimerait pouvoir vous annoncer de nombreuses reprises mais il n’y a pour l’instant qu’une date de prévue … le 17 avril 2015 à l’Opéra de Lille. Puisse cette situation évoluer : il serait totalement invraisemblable que l'existence d'une telle production se limite à quatre représentations parisiennes et une en province.

Quant au Théâtre de l'Athénée, notez enfin que s'y installe tout bientôt (du 11 au 15 juin) le spectacle réunissant la fraîche Colombe de Gounod et le sombre Pauvre matelot de Milhaud ; une production mise en scène par Stéphane Vérité avec les jeunes chanteurs de l'Opéra Studio de l'Opéra national du Rhin.

Alain Cochard

Eötvös : Le Balcon – Paris, Théâtre de l’Athénée, 21 mai 2014

Site de l'ensemble Le Balcon : lebalcon.com

Colombe / Le Pauvre matelot, au Théâtre de l'Athénée (11-15 juin) : www.concertclassic.com/concert/la-colombe-le-pauvre-matelot

Photos © Rodrigo Ferreira