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Le Bolchoï à Garnier - Le rouge est mis - Compte-rendu

On s’en souviendra, de ces crépitantes Flammes de Paris qui ont mis le feu au Palais Garnier. Parce ce que si l’objet, un ovni tout à fait insolite dans nos programmations, a des charmes incontestables, malgré et grâce à sa naïveté, il permet surtout à la troupe du Bolchoï de faire ce qu’elle sait faire de mieux : danser large et se donner sans retenue. C’est là une démarche à laquelle nos critères ne nous ont que peu habitués. Nous admirons les monstres sacrés, nous en avons eu, mais qu’une troupe entière se déchaîne à ce point, c’est un choc. On a dit les difficultés glauques rencontrées par la direction du Bolchoï, son tout récent changement de direction, Serguei Filin remplaçant Youri Burlaka en catastrophe, il y a un mois.

Peu importe : ce qui compte, c’est ce qui reste dans l’assiette. Et la preuve est faite que ce mastodonte de la danse a retrouvé son énergie légendaire et son quota de stars incendiaires: aujourd’hui les jeunes Natalia Osipova et Ivan Vasiliev, que le monde s’arrache, et d’autres merveilles telles que Vladislav Lantratov, lequel n’est encore que soliste mais a incarné un héros républicain avec une gaîté, une vaillance et une pureté de lignes irrésistibles. Toute la cohorte des gloires est d’ailleurs sur ce front parisien : Maria Alexandrova, superbe passionaria, Andreï Mercuriev, la belle Ekaterina Shipulina, et tant d’autres.

Flammes donc, qui furent la carte de visite du nouveau ballet soviétique, en 1932, grâce au talent cadré de Vasili Vainonen, auteur de cette fresque, et que Alexei Ratmanski, ex-directeur de la troupe et chorégraphe intelligent, a rallumées en 2008 en les adaptant à l’esprit du temps, moins évidemment caricatural dans son regard sur l’Ancien Régime et ses destructeurs. A l’époque, seules comptaient les scènes de masse : aujourd’hui, les solistes ont gagné en importance et le ballet s’en trouve plus prenant psychologiquement. Même la musique d’Asafiev, par ses couleurs et ses rythmes qui truffent les sources d’époque d’incises révolutionnaires, arrive à faire son chemin dans nos sensibilités françaises pourtant si narquoises. Bref, un programme cousu main pour le Bolchoï, plus célèbre pour ses performances spectaculaires et son éclat, que pour le raffinement de son style : là il faut regarder du côté du Mariinski de Saint-Pétersbourg, où la banquise n’est pas près de fondre.

Petit bémol avec Don Quichotte, lui aussi adapté certes à l’allure et au tonus de la troupe, mais qui pêche par la fadeur de sa chorégraphie remaniée indéfiniment et la laideur antédiluvienne de ses costumes et décors. On y retrouve bien évidemment le goût affirmé des Russes pour les espagnolades, mais on souffre une nouvelle fois de ne plus rien percevoir de l’esprit de Cervantès. Bref, Don Quichotte, gardé dans tous les répertoires du monde, est un ballet stupide, porté par une affreuse musique, celle du tâcheron Minkus, et qui ne vaut que par de brillantissimes variations isolées qui font mouche dans les galas ou les concours. Malgré leur éclat et leur virtuosité, Ekaterina Shipulina et Alexander Volchkov, magnifique sauteur mais encore fragile dans les portés, n’ont pu lui donner de vraie crédibilité.

Reste que là aussi, comme pour Flammes de Paris, on a applaudi sans réserves au don total, à l’engagement fou de chaque danseur de la troupe : jusqu’au bout, très au-delà du bon ou du mauvais goût. Comme à la battue frénétique du chef, Pavel Sorokin, fouettant avec la même ardeur l’Orchestre Colonne ou celui de l’Opéra. On se dit que les danseurs ne pourront pas le suivre. Erreur, ils le précèdent. Et c’est ainsi que le Bolchoï est grand : pléonasme.

Jacqueline Thuilleux

Ballet du Théâtre Bolchoï - Palais Garnier, les 11 et 12 mai, jusqu’au 15 mai. Pour prolonger le plaisir de ce feu d’artifice, le DVD de Flammes de Paris, chez Bel Air, avec les stars Natalia Osipova et Ivan Vasiliev.

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Photo : DR
 

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