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Le Château de Barbe -Bleue et Le Mandarin Merveilleux à Nantes - La vérité. - Compte-rendu
On a beau avoir conservé dans l’œil chaque image du Château de Barbe-Bleue selon Patrice Caurier et Moshe Leiser depuis la création de ce spectacle anthologique en 2007, le revoir suscite toujours autant d’émotion que d’étonnement. Spectacle ? Film bien plutôt, et il serait criminel qu’une caméra ne viennent pas parachever le travail au cordeau du duo de metteurs en scène. Film noir, chambre des années cinquante, travail subtil et pourtant simple de l’éclairage : pas de château, pas de portes, pas de symbole, mais en place une plongée en abîme dans le texte de Bela Balazs : pas de porte, et une seule clef, celle qui ouvre l’âme noire de Barbe-Bleue, et cette clé n’est autre que Judith elle-même. Dans ce parti pris essentialiste, tout apparaît évident, preuve qu’il faut savoir renoncer aux apparences d’une œuvre pour en dévoiler le sens.
Caurier et Leiser ont enclenché un processus qui les mène avec sa logique imparable non seulement au bout des personnages mais aussi de l’œuvre. Ils les épuisent littéralement, à mesure que la conscience du spectateur s’éclaire, et tout devient évident, jusque dans la liberté finale qui permet enfin de voir le meurtre de Judith par elle-même quasiment. Car au fond, c’est son destin que Judith trouve en se remettant aux mains de Barbe-Bleue, elle devient son instrument. Si la force du propos rend enfin l’œuvre lisible, elle ouvre en même temps un champ d’arrière-plans vertigineux qui n’en finit pas de rendre justice à la puissance de l’œuvre. Oui, Château de Barbe-Bleue est bel et bien un opéra pénétré par la pensée de Freud, n’est déplaise aux âmes cartésiennes.
Cette production parfaite retrouvait ses créateurs : Jeanne-Michèle Charbonnet, volontaire mais fragile, Gidon Saks (cette basse profonde, creusée, c’est exactement celle que voulait Bartok initialement et qu’un seul chanteur auparavant avait réussi pleinement, Mihail Szekely) terrifié à mesure qu’il se découvre lui-même sous le guide implacable de son amante, tous deux sont indissociables du projet et Daniel Kawka leur tisse toujours cet orchestre subtil, éloquent, poète jusque dans la terreur. On ressort broyé, cloué, muet, et aussi réussie que soit la chorégraphie de Lucinda Childs pour Le Mandarin Merveilleux, qui ouvrait la soirée, ce Château implacable et parfait nous l’a fait oublier.
Indispensable.
Jean-Charles Hoffelé
Bartok : Le Mandarin Merveilleux/ Le Château de Barbe-Bleue -
Nantes, Cité des Congrès, le 14 octobre 2011
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Photo : Jef Rabillon pour Angers Nantes Opéra 2011
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