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Le Couronnement de Poppée par l’ensemble I Gemelli d’Emiliano Gonzalez Toro au Théâtre des Champs-Élysées – Engagement interprétatif – Compte-rendu
Parachevant son triptyque des opéras de Monteverdi, Emiliano Gonzalez Toro à la tête de son ensemble I Gemelli et d’un plateau vocal de choix, propose Le Couronnement de Poppée (1643). Cette version de concert au théâtre des Champs-Élysées vaut surtout pour son interprétation, sans nécessaire recherche et nouvelle mise au point de l’œuvre. Il est vrai que le dernier opéra de Monteverdi ne s’y prête guère, pour ce qui est des deux partitions assez différentes – l’une vénitienne, l’autre napolitaine – et dues à des copistes qui nous sont parvenues. L’œuvre tient aussi davantage du travail d’atelier collectif, avec la participation de différents autres compositeurs (dont Francesco Manelli, Francesco Sacrati ou Cavalli), sans que l’on sache exactement la part qui revient à chacun. Le célèbre duo final, par exemple, ne serait pas de Monteverdi (peut-être de Sacrati). Autant d’incertitudes qui expliquent pour partie que Gonzalez Toro ne se soit pas attaché outre mesure à une nouvelle reconstitution, à l’inverse de L’Orfeo donné en ce même théâtre en 2019 (1).
David Hansen © Thonje Thilesen
L’ensemble respecte toutefois les critères d’époque, notamment pour l’instrumentation, distribuée en douze musiciens, majoritairement à cordes en compagnie de quelques vents, théorbe, clavecin et régale. On retrouve aussi quelques coupures dans la partition, sachant une fois encore qu’il n’est pas de version définitive et que par ailleurs il pouvait s’agir de pratiques d’époques.
Mari Eriksmoen © Sveinung Bjelland
C’est donc surtout l’interprétation qui galvanise, dont le public qui emplit jusqu’au dernier strapontin du théâtre est particulièrement sensible à en juger par son accueil triomphal. Car il s’agit d’un spectacle (puisque bénéficiant d’une judicieuse mise en espace autour d’un simple fauteuil et quelques costumes appropriés, signée Mathilde Etienne) des plus rodés, après sa présentation de la Cité musicale de Metz mi-mai, puis peu de jours avant Paris au Victoria Hall de Genève.
Mathilde Etienne © DR
Cela se sent tout spécialement pour la nombreuse distribution (treize chanteurs), dans un jeu quasi théâtral et de vibrantes incarnations. D’autant que le chant n’est pas en reste d’entregent. Le contre-ténor David Hansen plante un Nerone de haute volée, puissant dans sa voix claire et son expression. La soprano Mari Eriksmoen lui répond en une Poppea intensément sentie dans son chant comme sa transmission. La mezzo Alix Le Saux figure la malheureuse Ottavia avec un épanchement qui ne souffre pas dans sa vocalité. La basse Nicolas Brooymans campe un Seneca d’une sombre efficacité. Mathias Vidal s’élance vaillamment, comme il le sait si bien, pour une impayable nourrice Arnalta. Et la multitude de seconds rôles de s’incarner tout autant, dont, pour d’épisodiques interventions et personnages, Emiliano Gonzalez Toro en ténor (Lucano, Soldato, Liberto, Famigliare, Tribuno) et Mathilde Etienne en soprano (Damigella, Fortuna). Du grand théâtre sublimé par la musique, comme il se doit pour ce cantar recitando au rebours du recitar cantando de L’Orfeo.
Les instrumentistes d’I Gemelli, en nombre restreint tout à fait approprié comme nous disions, se conjuguent avec l’élan ou l’expansion de circonstance, soutenus de côté à l’appui de quelques mimiques par Gonzalez Toro, qui retrouve sa gestique directive au moment final. Pour une symbiose du plus bel effet.
Pierre-René Serna
Monteverdi : Le Couronnement de Poppée – Paris, Théâtre des Champs-Élysées, Paris, 24 mai 2023 // Diffusion en différé sur Mezzo.
Photo © Michel Novak
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