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Le Crépuscule des Dieux au Staatsoper de Berlin - En pleine santé - Compte-rendu
Il y a de tout et beaucoup dans ce Götterdämmerung qui clôt le Ring produit par le Staatsoper de Berlin depuis 2010, en coproduction avec la Scala de Milan. L’ensemble du cycle devant prendre place pour la première fois dans le Festival de Pâques berlinois et être présenté à Milan en juin. Beaucoup, donc, et même un peu trop : car le metteur en scène anversois Guy Cassiers s’est montré gourmand face à ce monde à la fois flamboyant et nébuleux, où l’émotion est constamment sur les crêtes. Belle surprise d’un lever de rideau sur des strates lumineuses et géométriques qui structurent les premiers tableaux avec vigueur et clarté. Ces éléments glissent formant estrade, rocher de la Walkyrie, berges du Rhin, sièges pour les Gibichungen. Les flammes se déchaînent, violentes et omniprésentes, les eaux scintillent, bref la vidéo fait son travail et remplace avantageusement des décors statiques, auxquels on donnerait forcément un trop grand poids symbolique.
Mais le metteur en scène n’a pas su choisir entre le sucré et le salé : certes il est séduisant que Brünnhilde, Waltraute, nornes et filles du Rhin soient vêtues de longues robes flottantes, ce qui permet des effets avantageux, mais cesse de l’être quand les malheureuses doivent jongler avec des excès de traînes qui n’ajoutent rien à leur potentiel dramatique - témoin la malheureuse Gutrune le soir de la première, s’écroulant sur l’avant-scène sous les bravos lors du salut final, les pieds embrouillés dans ses talons et ses voiles. De même pour les contorsions de quelques danseurs se glissant de-ci de-là comme des ombres afin de renforcer la noirceur de certaines apparitions, celle de Siegfried-Gunther dans la scène de conquête de Brünnhilde notamment. Même dues au très médiatisé Sidi Larbi Cherkaoui, elles agacent par leur inutilité. Enfin, était-il utile de surcharger de fantômes et de cadavres les eaux du Rhin lorsque Siegfried conte son aventure avant d’être frappé à mort ? La musique de Wagner, la puissance des voix, la beauté des lumières sont bien assez chargées pour qu’il ne soit pas nécessaire de les accessoiriser.
Bref, le metteur en scène a horreur du vide, comme le compositeur d’ailleurs, mais en dehors de ses excès visuels, il sait heureusement doser les évolutions des personnages avec une intelligence simplicité, et user de leur charisme parfois spectaculaire, comme dans le cas de Mikhaïl Petrenko. Car c’est bien lui qui en Hagen focalise la tension dramatique par une présence énorme, le moindre de ses gestes s’inscrivant dans l’espace comme une menace, la sensibilité écorchée de sa basse moins profonde qu’il n’est fréquent dans ce rôle, lui apportant des accents de douleur tristanesque, précisément dans la scène avec Alberich - personnage que Johannes Martin Kränzle incarne avec une efficace sobriété. On retrouve cette force scénique et cette gestique originales qui avaient frappé à Aix-en-Provence lors du Ring de Sir Simon Rattle, chez un chanteur de même pas 35 ans.
Autour de lui, de « grosses cylindrées », dont aucune n’a failli, à commencer par la vaillante, insubmersible Walkyrie d’Irène Theorin, suédoise de bonne tradition. Un peu moins d’enthousiasme pour le solide mais peu nuancé Siegfried de Ian Storey, sachant que la sensibilité tient du miracle dans ce rôle plutôt monolithique. Et tout autour une surprenante et séduisante pléiade slave, les russes Marina Prudenskaja, magnifique Waltraute, Marina Poplavskaya, attachante Gutrune, et aussi des nornes et filles du Rhin du nom de Nekrasova, Mikolaj, Gortsevskaya, Lapovskaya. La chaleur du timbre de Gerd Grochowski en Gunther doit aussi faire merveille dans les rôles de Klingsor, Amfortas, ou Kurvenal, son territoire wagnérien. Une exacerbation grandissante au fur et à mesure que l’œuvre tendait vers son explosion finale en a fait un plateau extrêmement prenant.
Reste le deus ex-machina, Daniel Barenboïm, faisant rouler la Staatskapelle de Berlin comme le Rhin ses cailloux, avec une sorte de grondement généreux, une dynamique implacable, et des moments de tendresse brûlante. Tout est feu dans sa conduite du drame, portée par un orchestre galvanisé, malgré quelques légers points faibles dans les bois, encore que l’acoustique du Schiller Theater, où s’est réfugié le Staatsoper le temps des travaux qui le réhabilitent, laisse planer le doute sur ces supposées failles.
L’ensemble fut un somptueux festin.
Jacqueline Thuilleux
Wagner, Götterdämmerung, Berlin, Staatsoper im Schillertheater, 3 mars 2013
Prochaines représentations le 31 mars, les 10 et 21 avril 2013
www.staatsoper-berlin.de
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Photo : Monika Rittershaus
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