Lauréat du Concours Reine Elisabeth 2016 (6ème Prix), Alberto Ferro (né en 1996) s’était à nouveau fait remarquer l’année suivante lors du XXVIIe Concours Clara Haskil de Vevey en obtenant le 2ème Prix. (1) C’est là que nous l’avions découvert, jeune musicien plein de talent mais encore un peu trop sur la réserve, pareil à un bourgeon à demi-ouvert. Du temps s’est écoulé depuis ; cette intégrale des Etudes-Tableaux de Rachmaninov  – enregistrée en mars 2019 sur un beau Fazioli (2) – témoigne de sa remarquable évolution.
 

Etude-Tableau op. 33 n° 2 (ext.)
 

Etude-Tableau op. 33 n° 5 (ext.)

La beauté du toucher, l’art du chant, la plénitude sonore sont toujours bien là mais, portées par un propos qui a gagné en liberté, elles s’expriment de manière plus prégnante, au service d’un ensemble où les moyens techniques de l’exécutant ne sont pas moins sollicités que son sens de la caractérisation – ce que terme étude-tableau résume d'ailleurs parfaitement.  Moins populaires et d’accès moins facile que les Préludes, les Etudes-Tableaux consistent, rappelons-le, en dix-sept numéros, répartis en deux cahiers (op. 33 & 39), de 1911 pour le premier, 1916-1917 pour le suivant.

Etude-Tableau op. 39 n° 1 (ext.)

Avec quel aplomb Ferro plonge-t-il au cœur de chacune des pièces ! Nulle concession à l’effet virtuose, au sentimentalisme, au chromo mais tout au contraire une concentration du geste, une certaine sévérité aussi, qui montrent que l’interprète a médité l’exemple de Rachmaninov interprète de sa propre musique. Econome en pédale, le jeu de l’Italien restitue avec acuité la complexité harmonique et rythmique de l’écriture – et en ces domaines, le Russe, que l’on n’envisage trop souvent que sous l’angle mélodique, montre une formidable inventivité.
 

Etude-Tableau op. 39 n° 2 (ext.)
 

Etude-Tableau op. 39 n° 9 (ext.)

L’étrangeté, la fantasmagorie, les secrets dominent l’univers des Etudes-Tableaux et le pianiste sait en traduire la vie intérieure avec un profond sens narratif, ici empli d’un souffle intense mais jamais racoleur, là d’une poésie décantée, tout à la fois sobre et prenante. De la très belle ouvrage.
Puisse Alberto Ferro ne pas en rester là avec le piano solo de Rachmaninov. Il aurait beaucoup à nous dire aussi dans les Corelli – l’opus où on l’imagine sans doute le plus immédiatement après ces Etudes-Tableaux – , les Préludes ou les Moments musicaux.

Alain Cochard

(1) www.concertclassic.com/article/finale-du-xxviie-concours-clara-haskil-de-vevey-vers-lavenir-compte-rendu

(2)1 CD MUSO mu-036 / www.muso.mu

Site d’Alberto Ferro : www.albertoferro.eu

Photo © Dan Hannen