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Le Do(s) transfiguré par Agnès Letestu et Edna Stern - Magie douce – Compte-rendu
Un précieux moment d’arrêt dans le chaos contemporain que cette rencontre entre deux artistes inspirées qui ont su se construire la plus fine des complicités. Depuis ses adieux en Dame aux Camélias, en 2013, l’étoile Agnès Letestu n’a cessé de danser, outre le travail raffiné qu’elle accomplit dans la création de costumes pour diverses productions. Et merveille, cette superbe amazone dont on admirait à la fois la finesse des lignes, le somptueux tracé de jambes et l’expressivité croissant avec les années, n’a rien perdu de ces qualités qui ont porté sa renommée dans le monde. Son amitié avec Bruno Bouché, et avec nombre de danseurs de l’opéra, ainsi que de grands chorégraphes, lui permet de poursuivre ses expériences d’ouverture sur un nouveau mode de spectacle, tout en subtilité, où elle fait s’enchaîner plusieurs formes d’écriture chorégraphique autour d’un axe de réflexion.
Ici, ô surprise, c’est d’une tonalité musicale qu’il s’agit : le do, dont la pianiste Edna Stern, avec laquelle elle travaille régulièrement, porte évidemment le flambeau. On a donc vu, dans une ambiance feutrée qui incitait au rêve, à la descente dans l’intime, la pianiste enchaîner des pièces axées sur cette tonalité, de Bach à Galuppi, de Chopin à Scriabine, de Mozart à Debussy. Entre ces deux immersions, Agnès à son tour, s’empare du do, et le fait vivre avec son corps flexible et souverain. Douceur prenante d’Une voix dans la nuit de Bruno Bouché, fluide et concentré, dialogue avec soi-même en des termes plus piquants, signé Jean Claude Gallotta, passion romantique avec deux chorégraphies de Florent Melac et de José Martinez, enfin, pétillante conclusion sur le Golliwog’s cakewalk de Debussy, mis en pas par Gallotta – lequel déclare « travailler sans musique, et trouver ensuite celle qui est adaptée à la chorégraphie » (on s’interroge !) – d’une façon désopilante qui montre une Agnès Letestu de 47 ans gambadant comme une gamine, en courte robette jaune.
© collection Agnès Letestu
On baigne donc dans un climat de pure poésie que rien ne vient brusquer et qui nous donne un aperçu des fines possibilités de la ballerine, au faîte de son talent. Il faut aussi mettre l’accent sur un des incidents survenus peu avant le spectacle, si fréquent dans ce monde où tout est à jouer dans l’instant, après avoir été préparé durant des mois : le grand danseur britannique qui devait donner la réplique à Agnès, Rupert Pennefather, étoile du Royal Ballet, s’étant méchamment blessé peu avant la représentation, l’un des beaux danseurs de l’Opéra, le jeune Florent Melac, coryphée à ce jour, est arrivé précipitamment de l’Opéra Bastille, où il dansait dans Cendrillon la même après-midi, pour prendre la relève.
En fait, le danseur est aussi chorégraphe et a créé pour ce spectacle le prenant Opus 27, pas de deux très romantique inspiré du style dramatique de Neumeier, et de la délicatesse de Robbins. Impossible de ne pas penser à la Dame aux Camélias dans cet échange tournoyant, où Melac a su inscrire de superbes entrelacements et volutes au niveau des bras. Il s’y est montré un partenaire de rêve, sa taille, son élégance et sa largeur de parcours s’alliant idéalement à la silhouette et au style d’Agnès Letestu.
Même ravissement avec le sensuel pas de deux extrait des Enfants du Paradis, de José Martinez, où la ballerine fascine dans sa robe « garance », qu’elle-même a signée, comme tous ceux du spectacle d’ailleurs. En fait, nul n’a oublié l’apparition en 2010, du tout jeune Melac imposant une sorte d’apparition dionysiaque dans les Danses grecques de Béjart qu’Elisabeth Platel avait inscrites à son spectacle de l’école. Navrés que sa belle prestation au dernier concours ne lui ait pas permis d’accéder au rang de sujet, on n’en suit pas moins sa carrière avec intérêt. Quant au spectacle, il courra les routes, au gré des invitations qui ne manqueront pas. Telles des Enfants du Paradis, Agnès et Edna ne sont pas près de quitter la route.
Jacqueline Thuilleux
Théâtre de Suresnes Jean Vilar, le 2 décembre 2018.
A la fin de la représentation, Agnès Letestu a reçu les insignes de Commandeur des Arts et des Lettres, ainsi que celles d’Officier de l’Ordre national du Mérite, respectivement remises par Brigitte Lefèvre et Hugues Gall.
Photo © collection Agnès Letestu
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