Journal
Le Lac des Cygnes par le Ballet National de Chine - Paisible - Compte-rendu
Le Ballet National Chinois est exemplaire de la sorte de fascination que les bases classiques occidentales, aussi bien musicales que chorégraphiques, ont exercée sur l’Extrême-Orient. Bases conservées avec un respect sacré, alors qu’elles reposaient, pour le ballet tout au moins, sur un héritage parfaitement aristocratique. On vit bizarrement en Union Soviétique, alors que les russes de Diaghilev avaient levé tant de tabous en Europe, se rigidifier un style académique plus royaliste que le roi Louis XIV lui-même. Preuve que la discipline et les règles l’emportaient sur toute forme d’idéologie. La même chose s’est donc produite en Chine, par le biais de cette influence, puisque le BNC, fondé en 1959, se développa sous la férule des maîtres de ballets russes, mais avec des danseurs puisés dans les académies chinoises, elles aussi bien dans le fameux style Vaganova.
On a donc vu émerger avec nos pointes et nos arabesques, un répertoire chorégraphique façonné par l’idéologie totalitaire, avec notamment l’emblématique Détachement féminin rouge, créé en 1964, au cœur de la Révolution culturelle, et à l’instigation de Madame Mao soi-même. Carte du régime, exhibé à chaque manifestation officielle, ce manifeste l’est resté aujourd’hui, à titre de témoin, et ce qu’on a pu en voir à l’Opéra de Paris il y a dix ans, a marqué par son caractère puissamment kitch, avec ses guerrières communistes totalement possédées. Dire qu’il l’est aujourd’hui encore bien plus est une évidence, et le ballet, tel qu’on le verra au Châtelet, relève du documentaire ethnologique. A chaque époque, son paléolithique.
En revanche, avec le Lac des Cygnes, c’est de notre propre iconographie romantique qu’il s’agit. Les eaux glacées de quelque lac nordique, qui font irrésistiblement penser à l’angoissante Neva dont Tchaïkovski arpentait les quais, avec ses cygnes morbides, figés pour l’éternité par un affreux magicien, racontent nos fantasmes, et la quête d’identité d’un prince étouffé par une mère castratrice. Cette histoire fantastique fut croquée en pas- de- deux devenus mythiques et en ensembles aux lignes d’une pureté rarement atteinte dans l’édifice chorégraphique, même s’il a fallu plusieurs générations, depuis Petipa, son auteur, pour lui donner sa forme actuelle. Ou plutôt ses formes, car chaque chorégraphe, tout en gardant les citations suprêmes de l’œuvre originale, y est allé de sa version. La compagnie chinoise, que dirige l’impressionnante Feng Ying, belle ballerine classique, encore que son nom n’ait pas réussi à passer les cordons de sécurité de l’Empire du Milieu, a choisi la version de Natalia Makarova, elle même inspirée de celle de Lev Ivanov. Il n’y a rien à en dire qui ne soit de l’ordre du détail, sinon que le dernier acte manque cruellement de progression et d’effets dramatiques.
L’interprétation chinoise est elle, une bonne surprise, avec de très beaux placés, des arabesques nettement moins en dedans que celles de l’école russe, une tenue admirable du corps de ballet avec des ensembles au cordeau, et une beauté plastique incontestable : outre la fine Zhang Jian en Odette-Odile, on a admiré l’excellence des sauts et des pirouettes de Zheng Yu, dans le rôle de l’ami du prince, tandis que ce dernier, Sheng Shidong, semblait moins à l’aise, malgré son élégance. Seul bémol, les ports de bras, pourtant majeurs dans cette histoire d’ailes. Là, le style russe n’a pas suffisamment débordé, et guindées, enkystées dans leur sagesse académique, les ballerines chinoises n’ondulent que faiblement. Tout se déroule en une admirable fresque glacée, si glacée que vers la fin l’admiration se mue en léger ennui, et en respect distingué. Par delà tant de différences culturelles et historiques, il est difficile de faire émerger l’essence d’un héritage. Quant aux faiblesses musicales, ce n’est pas à l’énergique chef chinois Zhang Yi qu’on les a dues, mais à l’Orchestre National d’Ile-de-France. Rendons à César…
Jacqueline Thuilleux
Ballet National de Chine.
Le Lac des Cygnes (du 25 au 29 septembre 2013)
Le Détachement féminin rouge (du 1er au 3 octobre 2013)
Paris – Théâtre du Châtelet
www.chatelet-theatre.com
> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?
> Lire les autres articles de Jacqueline Thuilleux
Photo : DR
Derniers articles
-
21 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
19 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
17 Décembre 2024Alain COCHARD