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Le Procès de Jeanne aux Bouffes Nord – Pour Dieu et pour le Roy – Compte rendu

 

Spectacle total, bouleversant et formidablement abouti : on aurait presque envie de s’arrêter là en vous pressant de courir le découvrir tant le commentaire semble vain eu égard au sujet. Un spectacle inclassable aussi ; « operatorio » nous disait il y a peu Camille Rocailleux.(1) En tout cas d’abord un document, les minutes du procès de Jeanne à Rouen en 1431. Le verbatim des échanges de la Pucelle avec ses juges ?  Certes, mais par-delà ce qui relève de l’historique, s'y révèle une langue d’une beauté et d’une puissance proprement surnaturelles à laquelle Judith Chemla a cédé. C’est elle qui a entraîné le metteur en scène Yves Beaunesne et le compositeur Camille Rocailleux dans l’aventure.

 

© Guy Delahaye
 

Préserver l’incandescence du verbe
 
Marion Bernède aussi. Il était impossible de conserver la totalité des minutes : la librettiste a su choisir, réduire le matériau tout en restant fidèle à la trame du procès et, point essentiel, à la langue qui s’y parlait. Pas question céder aux facilités de la simplification, de la « modernisation » – de la mise à la portée de tous.tes dirait notre ridicule époque. Préserver la musique de la langue car, Camille Rocailleux ne nous en voudra pas de l’écrire, le premier musicien du spectacle est une musicienne, Jeanne, et toute la réussite du Procès est de traduire l’incandescence de son verbe dans une création de nature d’abord théâtrale mais au long de laquelle la musique se révèle essentielle.

 

© Guy Delahaye

 
Envelopper, bercer ou faire rager
 
Une partition qui s’exprime souvent sur un mode dépouillé, infinitésimal même. Camille Rocailleux a su écouter le texte, avec une totale disponibilité et sans aucun esprit de système, afin que, porté par une prodigieuse Judith Chemla (aussi convaincante en comédienne qu’en chanteuse et dont la voix, délicatement amplifiée, est entourée d’un halot de mystère fort approprié ), il se déploie dans toute sa force, sans jamais céder au pathos. Il faut saluer la performance des six instrumentistes/chanteurs (2) qui œuvrent dans la pénombre, sans partition, pour envelopper, bercer ou faire rager – avec la force d’âme, la foi et l'insolence de celle qui agit pour Dieu et pour le Roy – les paroles de la Pucelle.
 

© Guy Delahaye

 
Telle une peinture vivante

 
Pas de pathos, pas un temps mort. La densité du Procès de Jeanne va de pair avec une parfaite fluidité qui tient tant à la structure du livret et la progression dramatique qui le sous-tend, qu’à la musique et, tout ensemble car elles sont rigoureusement inséparables, à la sobre scénographie de Damien Caille-Perret, à la mise en scène d’Yves Beaunesne, aux lumières de César Godefroy et à la vidéo – admirable ! – de Pierre Nouvel. Grâce au travail de ce dernier, les membres du tribunal, à commencer Mgr Pierre Cauchon incarné par Jacques Bonnaffé, son présents pour l’interrogatoire.(3) Présence sur un écran octogonal qui surmonte la scène –  on dirait une peinture vivante – et auquel Jeanne tourne presque constamment le dos (bravo pour la parfaite coordination !), ce qui n’apporte que plus de poids, d’implacable dureté aux questions dont on taraude celle qui a pris habit d’homme pour se battre aux côtés de gens d’armes et qui, plutôt que les adjurations de l’église militante préfère, pour reprendre la formule d’un maudit, « comprendre ce qui lui est dit du plus haut de l’Ether » ...

Grand moment dans la saison que ce Procès de Jeanne. Il tient l’affiche jusqu’au 16 février aux Bouffes du Nord et se verra ensuite à Noisy-le-Grand, Vichy, La Roche-sur-Yon, Caen, Meudon et Compiègne. Ne le manquez surtout pas. 
 
Alain Cochard
 

> Les prochains concerts de musique contemporaine en Ile-de-France <

Le Procès de Jeanne  - Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 29 janvier (création parisienne) ; jusqu’au 16 février 2025, du mardi au samedi 20h ( 15h le 16/02) // www.bouffesdunord.com/fr/la-saison/le-proces-de-jeanne
 
Puis le 4 mars 2025 à l’Espace Michel-Simon, Noisy-le-Grand ; le 8 mars 2025 à l’Opéra de Vichy
 ; les 11 et 12 mars 2025 au Grand R, scène nationale La Roche-sur-Yon
 ; les 19 et 20 mars 2025 au Théâtre de Caen
 ; le 25 mars 2025 au Centre d’Art et de Culture, Meudon
 ; le 27 mai au 2025 au Théâtre Impérial de Compiègne.

 
(1) www.concertclassic.com/article/trois-questions-camille-rocailleux-compositeur-un-operatorio-pour-jeanne

(2) Liste des musiciens : Mathieu Ben Hassen (Percussions, chant), Emma Gergely (Violoncelle, chant), Robinson Julien-Laferrière (Trombones, chant), Etienne Manchon (Piano et synthétiseurs, chant), Marie Salvat (Violon et alto, chant), Hippolyte De Villèle (Cor et bugle, chant)

(3) Liste des comédiens à l’écran : Jacques Bonnaffé (L’évêque de Beauvais, Monseigneur Pierre Cauchon, Président), Thierry Bosc (Jean de la Fontaine, clerc du diocèse
de Bayeux, conseiller examinateur), Jean-Claude Drouot (Jean Beaupère, chanoine de Rouen, professeur de sacrée théologie), Patrick Descamps (Guillaume Erard, Docteur en théologie réputé de l’Université de Paris), Jean- Christophe Quenon (Nicolas Midi, insigne docteur en théologie), Léonard Berthet-Rivière (Jacques de Touraine, franciscain), Michel Vanderlinden (Jean Massieu, doyen de la chrétienté de Rouen, huissier du procès), Eric Pucheu (Martin Ladvenu, frère mendiant), Antoine Laudet (Nicolas Loyseleur, dominicain), Frédéric Cuif (Guillaume Manchon, notaire greffier), Eliot Berger (Un Clerc anglais)
 
Photo © Guy Delahaye

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