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L’Or du Rhin selon Calixto Bieito à l’Opéra Bastille – Un Ring qui fait AI(e) ? – Compte rendu
![© Herwig Prammer](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/styles/asset_picture_default_400x250/public/herwig_prammer_onp-l-or-du-rhin-24-25-herwig-prammer-onp-24-.jpg?itok=yKD5qebm)
Rude tâche que d’ouvrir un Ring dans un lieu aussi prestigieux que l’Opéra de Paris, et dieu sait si ce projet était attendu après le cycle réalisé par Philippe Jordan… et la production assez hideuse de Günter Krämer (2009-2010). Celui-ci, confié à Calixto Bieito, aurait dû voir le jour en 2020, mais c’était sans compter sur le covid.
![© Herwig Prammer](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/herwig_prammer_onp-l-or-du-rhin-24-25-herwig-prammer-onp-20-.jpg)
© Herwig Prammer
Très visuelle, la nouvelle production du monstre wagnérien exploite pleinement les capacités grand écran de la scène de Bastille, avec force projections vidéo sur d’immenses bâches plastiques. Il faut reconnaître à l’équipe du metteur en scène catalan (Sarah Derendinger à la vidéo et Michel Bauer aux lumières) une belle maîtrise des matières brutes et de leur usage. On applaudit ainsi aux reflets aqueux pour l’apparition de l’or et aux jeux de pixellisation sur les grilles de l'objet massif faisant office de décor quasi unique, une sorte de micro-processeur géant, qui devient l’entrée du Walhalla après avoir été dédale de coffres-forts généré par un supercalculateur fou.
Résolument d’actualité, ce Ring choisit d’aborder la conquête de l’intelligence artificielle. Entre références à Tron (les filles du Rhin sont davantage étincelles que gouttes d’eau), Matrix et Dune (Mime a l’allure d’un Baron Harkonnen dégénéré), l’univers des blockbusters SF est omniprésent. C’est là que le spectacle pêche : l’histoire contée par Wagner possède son rythme propre, et il ne s’accorde pas facilement à une telle accumulation de références populaires. Car, pour ce qui est du travail d’acteurs, la scène restera chiche en surprises, si ce n’est pour retrouver les obsessions chères à Bieito : son culte du bourbeux et du crasseux qui peut vite lasser s’il ne repose pas sur un argumentaire solide. Transformer Fasolt et Fafner en géants de la tech texane et chinoise, et Wotan en super-investisseur – auquel on n’a heureusement pas donné une tête de Donald Trusk – suffira-t-il à structurer les trois journées suivantes ? On l’espère ardemment.
> Voir l'extrait vidéo "Schwüles Gedünst schwebt in der Luft" par Florent Mbia <
![© Herwig Prammer](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/herwig_prammer_onp-l-or-du-rhin-24-25-herwig-prammer-onp-26-.jpg)
© Herwig Prammer
Nibelheim est un back office où officie un Alberich câblo-opérateur tentant des expériences douteuses sur son frère Mime. L’accès à son domaine, surgissant de terre comme dans le Ring berlinois de Tcherniakov, est prétexte à l’ensorcelante exploration d’une Gaïa numérique, autre image marquante. Mais le regard délaisse trop souvent la scène. On finit même par se demander pourquoi ces individus disparates courent avec tant de passion après un objet qui les rend visiblement si peu ravis de l’avoir obtenu.
La défection grippale de Ludovic Tézier pèse sur une distribution que l’on espérait plus marquante. Iain Paterson (Wotan) est vocalement trop neutre, Brian Mulligan (Alberich) manque de présence, Marie-Nicole Lemieux (Erda) n’a vocalement rien à faire dans ce rôle. Le pari de Ève-Maud Hubeaux en Fricka tente de répéter l’effet Sophie Koch du Ring d’il y a dix ans, mais sans convaincre. On remarque davantage les filles du Rhin (Margarita Polonskaya, Isabel Signoret, Katharina Magiera), Froh (Matthew Cairns) et les géants (Kwangchul Youn, Mika Kares). Et surtout le pauvre Mime, défendu par Gerhard Siegel, dont la présence et le timbre sont superbes, au contraire du Loge très tendu de Simon O’Neill, transformé ici en un personnage repoussoir.
![© Javier Salas](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/heras-casado.pablo_c-javier-salas.jpg)
Pablo Heras-Casado © Javier Salas
On est bien davantage attiré par ce qui se passe dans la fosse, où se produit le seul vrai miracle de la soirée : l’hallucinant travail d’orfèvre de Pablo Heras-Casado, qui fait – et nous n’hésitons pas à l’écrire – redécouvrir Wagner. Que ce soit dans le tuilage rythmique d’un magnifique prélude, dans les détails des pupitres (hormis les cors imprécis durant la dernière scène) ou dans la texture des vents, on retrouve cette précision architecturée qui rend ses Parsifal de Bayreuth si remarquables.
Le chef grenadin propose bien plus qu’une lecture historiquement informée de Wagner : il en offre une vision acoustiquement informée, portée par une palette novatrice qui ne s’inscrit ni dans l’élégance ravélienne de Philippe Jordan, ni dans l’approche germano-latine de Gustavo Dudamel. Son Wagner, tissé de rythmes et de lumière, étonne et captive, à l’image de ce que fut la direction visionnaire de Pierre Boulez en 1976.
Vincent Borel
![](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/logoccbreves_6.png)
> Les prochains concerts "Richard Wagner" <
Wagner : L’Or du Rhin – Paris,Opéra Bastille, 29 janvier ; prochaines représentations les 2, 5, 8, 11, 14 & 19 février 2025 // www.operadeparis.fr/saison-24-25/opera/lor-du-rhin
Photo © Herwig Prammer
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