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Légendes de Benjamin Attahir au Musée Guimet – Contes d’empereurs et de pêcheurs – Compte rendu

En novembre 2023 a été créé au théâtre municipal de Ho Chi Minh Ville l’opéra Paysage dans l’oubli, projet soutenu par le Centre national de la musique. De cette partition, qui évoque l’histoire du Vietnam au XXsiècle, ont été détachées les deux « légendes » qui se mêlent à l’intrigue, pour les présenter ce dimanche 6 avril à l’auditorium du musée Guimet (en contrepoint de son exposition de photos prises au Vietnam par Marc Riboud). « Le Dragon d’or » évoque la figure du premier empereur, Dinh Bo Linh, tandis que « Le pêcheur au fond de la tasse à thé » relate la triste histoire d’une fille de mandarin éprise d’un inaccessible homme du peuple.

 

© Charles Dengpheng
 
Anciennes légendes

Compositeur français d’origine libanaise, né à Toulouse en 1989, Benjamin Attahir n’a aucun lien a priori avec le Vietnam, mais il était déjà l’auteur de plusieurs opéras, créés entre 2012 et 2019, le dernier, Le Silence des ombres, réunissant trois pièces pour marionnettes de Maeterlinck. Cet intérêt pour le dramaturge belge ne pouvait qu’éveiller la sympathie d’Olivier Dhénin Huu, qui a de son côté participé à la recherche de l’introuvable partition de Lili Boulanger d’après La Princesse Maleine ; lui-même auteur et metteur en scène franco-vietnamien, il a adapté pour l’occasion d’anciennes légendes de son pays maternel.

 

Aimery Lefèvre © Charles Dengpheng

 
Un Vietnam séculaire et mythique

Par rapport à la création en 2023, ce n’est plus un orchestre qui soutient les chanteurs, mais un piano – bravo à Emmanuel Christien qui interprète cette réduction, en traduisant au mieux les couleurs instrumentales que l’on devine être celles de la version originale. Olivier Dhénin reprend sa mise en scène, dans le décor qu’il a lui-même conçu, pour autant que l’on puisse en juger d’après les photos du spectacle donné à Saïgon. L’action se joue devant un mur aux reflets métalliques, suffisamment transparent pour que certains chanteurs se placent derrière pour commenter l’action. Les somptueux costumes d’Hélène Vergnes renvoient à un Vietnam séculaire et mythique.
Des deux « légendes », la première semble surtout narrée, avec l’intervention finale de marionnettes (conçues par Nguyen Thi Kim Thuy), alors que la seconde est davantage incarnée, vécue par les chanteurs cette fois plus acteurs que conteurs. « Le dragon d’or » fait intervenir un chœur d’enfants, élèves du conservatoire de Nogent-sur-Marne, admirablement préparés par Pauline Brassac : ils interprètent avec aplomb, par cœur et avec un bel ensemble, une partition complexe, qui ne donne jamais dans la facilité de certaines œuvres « jeune public ».

 

Léa Bao Ngoc Badillo © Charles Dengpheng

 
Un talent à suivre

Trois chanteurs semblent remplir une fonction semblable à celle du chœur de la tragédie antique : le trio est formé par le ténor Mali Zivkovic et les sopranos Valentine Martinez et Masayo Tago, cette dernière intervenant en solo dans « Le pêcheur au fond de la tasse à thé ». Trois solistes se partagent les différents rôles. Les deux barytons possèdent des timbres bien différenciés, Aimery Lefèvre offrant les couleurs sombres qui conviennent notamment au Mandarin, père de la jeune fille Saule, tandis que Pierre Barret-Mémy prête à l’empereur, puis au pêcheur, une voix plus claire. Et l’on s’avoue assez ébloui par la prestation de Léa Bao Ngoc Badillo, scéniquement superbe et vocalement admirable, même si l’on s’étonne qu’elle soit présentée comme mezzo-soprano ; peut-être la partition sollicite-t-elle moins son registre grave. L’avenir le dira, car c’est un talent à suivre.

Laurent Bury

 

> Les prochains concerts de musique contemporaine en France <

Benjamin Attahir, Le Dragon d’or / Le Pêcheur au fond de la tasse de thé – Paris,  Auditorium du Musée Guimet, 6 avril 2025.
 
Photo © Charles Dengpheng

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