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Mitridate de Mozart à l’Opéra Comédie de Montpellier - Aux marches du palais – Compte-rendu

Quatre escaliers amovibles jaillissent côté cour et côté jardin, nimbés de bleu Klein. Des rideaux de même couleur viendront signifier l’intimité amoureuse dans ce Mozart qui assura le triomphe du jeune prodige, à Milan, en 1770. Qu’a donc voulu nous dire Emmanuelle Bastet avec ce décor si spectaculaire ? Que l’accession au pouvoir est une ascension ardue, tout aussi ardue que les grands écarts de la partition, l’une des plus intenses du jeune prodige ? Car, que ce soit pour l’air d’entrée d’Aspasia (« Al destin che la minaccia ») ou pour celui de Mitridate (« Se di lauri il crine adorno »), avec leurs sauts de registre insensés, le vertige est sans cesse au rendez-vous.
En fosse, Philippe Jaroussky fait ses premières armes à la tête d’un orchestre moderne. Celui de Montpellier Occitanie lui rend bien son enthousiasme et sa verve baroque. Le choix de tempi allegro, mais jamais survitaminés, laisse au chant – extrêmement virtuose pour chacun des protagonistes – le temps d’éclore.

© Marc Ginot - OONM
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Un jeu d'acteurs au cordeau
La production, conçue de pair avec l’Opéra de Lausanne, rend pleinement justice à cet opera seria rarement monté. On ne garde ici que le souvenir de la production de Jean-Claude Fall à Aix-en-Provence en 1983, et de celle de Clément Hervieu-Léger au Théâtre des Champs-Élysées en 2016.
L’intrigue, d’après Racine, traite de despotisme, de jalousie et de l’impossible clémence politique dès que le cœur s’en mêle. Le roi Mitridate et ses deux fils, Farnace, l’aîné, et Sifare, le cadet, se révoltent puis se plient aux volontés de leur tyran paternel. En plus des conflits concernant la succession au trône, les trois hommes sont épris de la même femme, Aspasia. Rajoutons à ce nœud implacable le mariage imposé à la fille du roi des Parthes, Ismene, et la menace omniprésente de Rome, incarnée par le belliqueux Marzio.

© Marc Ginot - OONM
Emmanuelle Bastet nous aide à dénouer cette pelote tragique grâce à un jeu d’acteurs au cordeau, fulgurant sur l’espace scénique grâce aux éclairages de François Thouret. Les costumes de Tim Northam jouent les contrastes chromatiques sur le bleu omniprésent. Sable, vieil or, vert olive, cramoisi sont du plus bel effet. Parfois figée dans des poses picturales, parfois torturée par le désespoir et la colère, la rhétorique de l’opéra baroque reste d’une intense modernité. Seule entorse : la suppression des voix dans le lieto fine lequel, effectivement, pourrait paraître un contre-sens après tant de noirceur racinienne. Mais, après tout, n’est-il pas question d’empoisonnement, de suicide et de trahison ?

© Marc Ginot - OONM
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Jeunesse et ardeur
À cela, il faut un casting exceptionnel. Ce à quoi l’on a assisté — puisqu’il s’agissait d’une prise de rôle pour chacun des interprètes — justifie l’adjectif. Le choix de deux chanteurs racisés pour le père et le fils, l’un venu d’Afrique du Sud, l’autre des États-Unis, marque une juste filiation entre Mitridate et Sifare. Rossinien de carrure, Levy Sekgapane (photo) se joue des écarts vertigineux et des colères incessantes de son rôle despotique. Key’mon W. Murrah est quant à lui un authentique sopraniste : ses sons filés font merveille durant le duo avec Aspasia (« Se viver non degg’io »). Celle dernière est incarnée par Marie Lys. Elle impose une force de caractère qui possède déjà le mordant vocal de l’Elettra d’Idomeneo. En Ismene, la jeune Catalane Lauranne Oliva déploie la volupté d’un soprano confortable. À Lausanne, elle était Aspasia, ici elle devient la tendresse même.
On reste plus circonspect quant à l’incarnation de l’Anglaise Hongni Wu en Farnace, dont les couleurs pâles peinent à séduire durant son air avec cor obligé (« Lungi da te, mio bene »). La carrure du rôle eût mieux convenu au contre-ténor italien Nicolò Balducci, ici Arbate, complice des bassesses de Mitridate. Le timbre est puissant, clair et tranchant. Rémy Burnens est tout aussi remarquable en Marzio : son unique aria, « Se di regnar sei vago », est celle d’une voix taillée pour un futur Idomeneo.
Au panthéon des Mitridate, celui-ci, sublimé par un casting jeune et ardent, place les soirées montpelliéraines au niveau le plus haut.
Vincent Borel

> Voir l'extrait de Mitridate avec Key'mon Murrah et Marie Lys <
Mozart : Mitridate - Opéra-Comédie, le 8 avril ;
prochaines représentations les 10 et 12 avril 2025 – Retransmission en différé sur France Musique le 17 mai 2025 (20h)
www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenements/mitridate-re-di-ponto/
Photo © Marc Ginot - OONM
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