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Le retour de l’homme à la rose à la Bastille
Le Rosenkavalier selon Wernicke ne s’est pas éventé comme Les Troyens repris récemment. Alejandro Staldler a subtilement revisité ce spectacle salzbourgeois, réintroduisant l’élément essentiel de l’art de Wernicke : la direction d’acteur, donnée-clef qui s’évapore en général irrémédiablement une fois le metteur en scène disparu où lorsque celui-ci abandonne son spectacle. Patrice Chéreau le sait bien, qui refuse que ses productions soient reprises si il ne peut pas les réactualiser. Stadler n’a pourtant pas pu éviter l’écueil principal du spectacle qui s’aggrave d’acte en acte: cette insistance chronique sur la « vis comica » pas toujours idéalement légère. Au fond, on n’aime vraiment que l’acte I avec son dispositif de miroirs tour à tour neutres puis décoratifs, lorsque le trait n’est pas encore grossi.
La distribution fut malmenée par cette plaie des chanteurs : la laryngite. Nous avions perdu la Maréchale de Schwanewilms, puis celle de Kringelborn, mais aussi les Chevaliers de Kasarova puis de Garanca, et l’on annonça Angela Denoke et Daniela Sindram. Avec son soprano assez rêche, Denoke évite du moins les piéges du maniérisme. Elle ne risque pas de « schwarzkopfiser », et cette lecture simple, droite, ne sacrifie pourtant pas les arrières plans psychologiques. Le portrait est complexe dans sa simplicité même, et le monologue du I assez idéalement fluide restera longtemps dans nos mémoires pour sa tristesse sereine. Au physique, Denoke compose évidemment une Maréchale un peu jeune, mais elle fait un vrai couple d’amour avec Daniela Sindram dont l’Octavian aura été la révélation de cette matinée. Dans la voix quelque chose de Von Stade, une aisance en scène, un plaisir à jouer irrépressible, un Octavian naturel au mezzo clair, tranchant, avec dans le timbre des nuances d’ambre.
Hawlata compose avec brio son Ochs gentil garçon un rien débonnaire, et cabotine avec sa suite, pour l’occasion une troupe de joyeux lurons chasseurs. Pourquoi Heidi Grant-Murphy en Sophie ? Qui l’aura entendu après le vingtième rang ? Et même si Sophie est oie blanche, pourquoi une expression si constamment niaise ? Et comment expliquer autrement la présence régulière de ce « sopranino » autrement que par ses liens matrimoniaux avec Kevin Murphy, ci-devant Responsable des études musicales à l’Opéra de Paris ? On est désolé d’écrire que si l’actrice est solide, la chanteuse indiffère. Comprimari luxueusement distribués : Bär en Faninal, Lagrange en Marianne Leitmetzerin, Homberger en aubergiste, Muzek solaire et subtil en Chanteur italien, Bricsein et une toujours aussi épatante Hélène Schneiderman pour les italiens, un notaire inénarrable (Lynton Black) émaillent la représentation de silhouettes détonantes.
En fosse Philippe Jordan ne fait pas respirer son orchestre toujours un peu trop bruyant : les phrasés tombent à plat, des décalages dans les notes de pédales et aussi dans les formules décoratives produisent plus d’une fois des impressions brouillonnes et l’on reste assez loin de Vienne, paradoxe pour une baguette habituée du Staatsoper. A la troisième représentation cela inquiète logiquement et il faut bien dire que si le chef ne manque pas de charisme, il ne possède pas le meilleur bras du monde.
Un spectacle à découvrir si vous ne l’aviez pas vu à Salzbourg, même si sa distribution risque de demeurer encore fluctuante.
Jean-Charles Hoffelé
Der Rosenkavalier de R. Strauss, Opera Bastille, le 10 décembre, puis les 14, 21, 24, 27 et 30 décembre.
Programme détaillé de l'Opéra Bastille
Photo : Eric Mahoudeau/Opéra de Paris
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