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​Le Sang du glacier de Claire-Mélanie Sinnhuber en création mondiale au Théâtre du Point du Jour (Lyon) – Rouge-Neige – Compte-rendu

 
Ce n’est ni un roman policier ni un conte fantastique, mais un « sujet de société » comme aime à en traiter le Théâtre du Point du Jour, auquel Richard Brunel a confié la conception d’un opéra itinérant. Le « sang des glaciers », c’est le surnom donné aux micro-algues rouges qui se fixent sur les montagnes qu’elles recouvrent d’un tapis écarlate, comme l’indique le nom de celle qui s’attaque aux cimes les plus hautes, Sanguina nivaloides. Cette coloration est spectaculaire, et elle a surtout pour effet d’accélérer la fonte des neiges, ce qui vient s’ajouter à tous les problèmes déjà causés par le changement climatique.

 

© Jean-Louis Fernandez

Sur cette base, Lucie Vérot Solaure, auteure du livret, et Angélique Clairand, responsable de la mise en scène, ont imaginé un scénario situé en 2029, qui ne relève pourtant pas de la dystopie absolue. La fonte des glaces libère le corps d’un alpiniste disparu vingt ans auparavant, suscitant des réactions contrastées chez son fils, glaciologue, et sa fille, ingénieure hydraulique ; à ce drame personnel s’ajoute une catastrophe écologique, l’eau courante devenant impropre à la consommation et même à l’usage domestique. Heureusement, tout s’arrangera à la fin, même si l’optimisme reste fragile. Sur ces données, la compositrice franco-suisse Claire-Mélanie Sinnhuber (née en 1973) a imaginé un véritable opéra, où l’on chante de bout en bout, avec seulement quelques interjections parlées – la chose mérite d’être signalée car, de nos jours, beaucoup de ses collègues n’ont que trop tendance à renoncer au chant pour infliger au spectateur de longs passages déclamés. Un véritable opéra, mais avec des effectifs vocaux et instrumentaux très réduits, pour en faciliter la diffusion : Le Sang du glacier sera présenté dans toutes sortes de lieux dénués de salles à l’acoustique favorable, à commencer par un collège lyonnais, puis partira en tournée à bord d’un camion qui s’arrêtera dans toute une série de communes d’Auvergne.

 

© Jean-Louis Fernandez

L’orchestre se réduit ainsi à trois instrumentistes, sans chef : au violoncelle de Lila Beauchard répondent la harpe de Rose Pollier Méliodon et l’accordéon de Mélanie Brégand. La participation des trois musiciennes, visibles sur une estrade derrière un tulle, ne s’arrête pas là, car la partition leur confie aussi des interventions très réussies en « parlé rythmé » et même un peu chanté. Elles sont rejointes en fond de scène par Mathieu Dubroca, qui incarne à la fois le fils, Matteo, et le père disparu. On a pu applaudir le baryton aussi bien dans les opérettes ressuscitées par Les Frivolités Parisiennes ou le Palazzetto Bru Zane, que dans le répertoire contemporain (Aperghis, Mitterer) : on apprécie ici la clarté de son timbre, la netteté de sa diction et surtout l’émotion dont il sait imprégner son chant. Devant le tulle, la scène représente le labo où travaille Sofia, la fille de l’alpiniste, à laquelle Charlotte Bozzi prête une belle vivacité, la soprano mobilisant toutes ses ressources expressives pour traduire la gamme d’affects parcourue par son personnage.

La musique de Claire-Mélanie Sinnhuber se montre respectueuse des voix sans jamais tomber dans le pastiche passéiste, et même la valse finale qu’entonnent les trois instrumentistes évite le cliché, son apparente gaieté restant vacillante, tout comme la maquette du glacier présente sur scène : on peut un moment croire la montagne « guérie » de son efflorescence algale, mais alors que les personnages ont quitté le plateau, elle continue à osciller entre sa blancheur immaculée et le rouge de sa pollution funeste …

Laurent Bury
 

 
Claire-Mélanie Sinnhuber : Le Sang du glacier (création mondiale), 10 décembre ; représentations au Théâtre du Point du Jour (7 rue des aqueducs ) jusqu’au 16 décembre (matinées scolaires et soirées tous publics) ; puis au Conservatoire de Lyon les 17 et 18 décembre, au Collège Jean Moulin de Lyon les 19 et 20 décembre 2024 // www.opera-lyon.com/le-sang-du-glacier

 
Photo © Jean-Louis Fernandez

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