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« Le théâtre vient de la musique » - Une interview de Jean-François Sivadier, metteur en scène - Par Luc Hernandez

Jean-François Sivadier vient de mettre en scène son premier opéra baroque, Le Couronnement de Poppée tandis que sa très belle production de La Traviata à Aix l'an dernier est sortie en DVD(1). Direction d'acteurs, désillusions à l'Opéra de Paris, projets pour la saison prochaine... Entretien avec un metteur en scène-acteur qui n'aime rien tant que ses interprètes.

Vous venez de mettre en scène Le Couronnement de Poppée à Lille et à Dijon. Mettez-vous en scène le répertoire baroque de la même façon que le répertoire classique ?

Jean-François SIVADIER : « Oui et non. C'est surtout différent du fait de l'écriture de Monteverdi. C'est une musique très improvisée ; c'est une conversation, extrêmement dialoguée, et le texte a énormément d'importance. Il contient des informations dans chaque réplique, ce qui n'est pas le cas chez Mozart ou Verdi où l'on peut s'embarquer dans le mouvement global d'une scène. Je travaille beaucoup sur la musique et le mouvement or ici, le mouvement est constamment à construire parce que la musique est insaisissable. Il n'y a pas de moment qui puisse emporter une scène. C'est une réinvention perpétuelle. La musique change absolument tout le temps, à l'intérieur des scènes, et parfois même à l'intérieur des répliques. C'est pour ça que nous avons choisi avec Emmanuelle Haïm de faire vivre l'idée d'un atelier dont l'orchestre est partie prenante.

Etait-ce un plaisir nouveau ou une difficulté ?

J.-F. S. : Au départ, davantage une difficulté. Emmanuelle me disait qu'avec Monteverdi, on peut tout faire. Cette liberté-là pour moi était très intimidante. Une musique comme Carmen ne changera jamais. Chez Monteverdi, on a le sentiment de pouvoir nous-mêmes influer sur la musique. Mais une fois qu'on a compris ce principe-là, ça devient extrêmement excitant.

Vous êtes-vous amusé avec les personnages célèbres ?

J.-F.S. : Je pars toujours des interprètes pour travailler. On peut jouer avec des figures connues comme Néron, mais Monteverdi le fait avant nous. Pour Néron, je suis parti de Max Emanuel Cencic. Il a fini par en être très heureux ! (rires)

Dans quelle mesure intégrez-vous la psychologie des personnages dans vos mises en scène ?

J.-F. S. : Je suis acteur. Je sais que la psychologie ne peut pas être un outil de l'acteur. Les acteurs peuvent travailler avec du mouvement, de l'action, mais pas avec de la psychologie. Je ne demande jamais aux chanteurs d'être dans la psychologie, mais toujours dans un rapport ludique au plateau. Ça n'empêche pas qu'on se raconte des choses sur les personnages, mais eux en savent déjà long. La psychologie est écrite dans la musique. Ce qu'on a à faire avec les chanteurs, c'est la mettre en état de jeu.

Justement, dirigez-vous les chanteurs de la même façon que des acteurs ?

J.-F. S. : Non, parce qu'en général les chanteurs sont un peu complexés par le fait qu'ils ne sont pas acteurs. Ils ont très envie de jouer, à commencer par la jeune génération, mais quelquefois, ils pensent souvent que le théâtre se trouve à côté de la musique. Moi, je pense que le théâtre vient de la musique. Il faut leur faire comprendre qu'ils n'ont pas à sortir d'eux-mêmes pour représenter quelque chose mais à le vivre en ayant plaisir à être sur un plateau. Ensuite, ça va tout seul.

Le chant se met-il en scène de la même façon que la parole ?

J.-F. S. : Dans la musique, il y a une transcendance immédiate. Dès que quelqu'un chante, il y a quelque chose qui se passe, même s'il est en jeans et en baskets. C'est la grande différence avec le théâtre. Le temps et la poésie sont dans la musique à l'opéra. Le point de vue du compositeur, c’est déjà un point de vue de metteur en scène. Il y a une part de poésie qu'on n'a pas à prendre en compte, la musique s'en charge. Souvent, les chanteurs ne se rendent pas compte à quel point ils sont poètes par le seul fait de chanter. Ils pensent que le personnage est plus intéressant qu'eux alors que ce sont eux qui sont les plus intéressants.

C'est pour ça que vous refuser l'imagerie traditionnelle des grands décors ?

J.-F. S. : Oui, je cherche d'abord à créer un espace dans lequel les chanteurs vont se sentir toujours au centre. Pour qu'ils n'aient jamais l'impression de faire partir d'une image plus forte qu'eux mais de rester dans une dimension humaine. C'est une façon de les responsabiliser aussi. J'essaie de les mettre tout le temps en état de jeu, dans une position de plaisir et de risque pour que lorsqu'ils sont très exposés ils se sentent très importants sur le plateau. Je me méfie des décors aussi parce que c'est dans la musique que je vois le plus de théâtre. La musique, c'est l'inconscient, elle touche immédiatement. Même lorsque le texte du livret est aussi beau que celui du Couronnement de Poppée, la musique apporte toujours à mon avis un théâtre encore plus fort.

Ce travail particulier avec les interprètes est-il plus facile à mener à Lille ou à Dijon que par exemple à Aix-en-Provence autour d'une production aussi médiatique que La Traviata avec Natalie Dessay ?

J.-F. S. : J'ai eu autant de plaisir à travailler à Aix qu'à Lille. Je n'ai vraiment jamais senti la moindre pression même si Natalie, elle, devait forcément en ressentir par rapport aux médias qui se pressaient autour d'elle. Mais on a vraiment travaillé dans la décontraction et le plaisir. Philippe Béziat a d'ailleurs réalisé un documentaire sur les répétitions qui devrait sortir au cinéma. C'est très important de préserver cet état d'esprit pour moi. Même si j'avais le trac que ça ne se passe pas comme d'habitude, je suis vraiment allé à Aix parce que je savais que c'était possible de travailler dans ces conditions. Lorsqu'on m'a proposé de travailler à l'Opéra de Paris, rien que l'énoncé du projet était tellement à l'opposé que j'ai tout de suite pris peur ! En plus j'ai écouté l'œuvre : c'était Le Cid de Massenet qui représente vraiment tout ce que je déteste ! (rires) J'ai tout de suite décliné l'invitation.

Avez-vous d'autres projets sur l'axe Aix-en-Provence / Dijon / Lille ?

J.-F. S. : Je dois faire un Barbier de Séville la saison prochaine à Lille. Le festival d'Aix m'a proposé énormément de choses, dont un projet que j'avais accepté mais pour lequel j'ai finalement dû me rétracter. Mais nous avons envie de retravailler ensemble.

Propos recueillis par Luc Hernandez, le 1er avril 2012

(1) DVD Virgin Classics – 730798 9

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Photo : ©croisier
 

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