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Le Trio Grimal-Gastinel-Cassard aux Bouffes du Nord – D’un même souffle – Compte-rendu
Beethoven avait été envoyé à Vienne à 22 ans pour « recevoir des mains de Haydn l’esprit de Mozart ». Choisissant le trio avec piano pour illustrer ce qui serait son « œuvre première », le jeune compositeur obéissait – mais à sa manière – à ses mécènes allemands. La langue qu’il emploie avant 1800 est bien celle de Mozart et de Haydn, mais, la virtuosité de l’écriture du piano, le rôle du violoncelle, l’inattendu des dynamiques exigées, tout ici, fait respirer un air neuf. Dès les deux premières œuvres du programme (le Trio en mi bémol majeur op. 1 n°1 et le Trio en si bémol majeur op. 11), se manifeste cette différence fondamentale avec toute la musique contemporaine de ce XVIIIème siècle finissant : avec Beethoven, même la musique de chambre devient une affaire « trop sérieuse pour être laissée aux mains des amateurs ». Alors, quand trois solistes, sensiblement au même niveau de maturité artistique, et unis par la même exigence de travail, jouent ensemble dans une acoustique de rêve pour ne servir, l’espace d’une soirée, que Beethoven, quel bonheur !
Elisabeth Brisson, dans son précieux Guide de la musique de Beethoven (Fayard) décrit ainsi les caractéristiques communes aux trois Trios op. 1 (tout aussi applicables à l’Op. 11) : « la vitalité, la jubilation sonore le plus souvent palpitante, l’humour, la clarté d’articulation du discours en éléments toujours identifiables malgré leur combinaison imprévisible ». Disons-le d’entrée : ces lignes ont été illustrées à la perfection par le trio formé de David Grimal (photo), Anne Gastinel et Philippe Cassard. Comme le pianiste qu’était le jeune Beethoven comptait bien s’imposer à Vienne comme « premier virtuose » de son temps, il « tire la couverture à lui » dans ses premiers opus – d’où cette « jubilation sonore » d’un piano omniprésent, produite par un jeu idéal de Cassard (timbré, léger, coloré, pétillant, et avec un sens du tempo formidable, car le « métronome » du groupe, c’est bien lui !). Lorsque le piano est aussi stylistiquement juste que l’était celui de Cassard aux Bouffes du Nord, les cordes trouvent tout naturellement leur espace. Tout alors respire non à six poumons mais à deux, et tous semblent se jouer des éventuelles difficultés, sourire aux lèvres. L’humour de Beethoven, annoncé au public dans une des délicieuses petites présentations parlées de David Grimal fut illustré de manière exquise dans le Trio op. 11 (conçu pour clarinette ou violon), qui fait défiler en finale une petite série de variations sur un air d’opéra à la mode. Citées noir sur blanc par le compositeur sur sa partition, les paroles (« il me faut me restaurer un peu avant de me mettre au travail ») sont d’une bonhomie roborative, et la partie du public des Bouffes du Nord qui était tout près des interprètes aurait presque pu les entendre rire sous cape.
Dix ans ont passé entre la première partie du programme, et la seconde. En 1808, Beethoven trempe sa plume dans l’encrier de Symphonie « Pastorale » et de son 10ème Quatuor à cordes, et nous offre le premier trio depuis l’Opus 11. Ce n’est pas seulement un changement de paysage – qui ferait passer du massif des Alpes à l’Himalaya –, c’est surtout un changement de regard. C’est l’homme des Quatuors « Razumovsky » qui a imaginé le Trio op. 70 n° 1: celui qui a mis tous les instruments rigoureusement sur le même plan. Dans cette partition se déploya, dans toute son ampleur, l’épanouissement artistique de ce groupe humain. La rectitude et la profondeur d’Anne Gastinel, la souplesse et la chaleur de David Grimal, la beauté de l’écoute de Philippe Cassard engendrèrent, pour un public qui retenait sa respiration, une poésie à la limite de l’impalpable, et pourtant si colorée, si puissante sur le plan des contrastes qui est celle du mouvement et qui justifie le sous-titre de Geister Trio (trio des esprits, des fantômes….).
Dans ce mouvement, où le piano semble écouter comme en grelottant mais sans vouloir en rien laisser paraître, l’aveu amoureux des deux cordes, à la fois dramatique (en ré mineur – tonalité de tant de chefs-d’œuvre de la musique viennoise !) et cosmique, l’entente entre les trois musiciens n’aurait pas pu être plus parfaite. En bis, comme en écho, l’Andante con moto du Trio op. 100 de Schubert, pris – ce qui est rarissime – au tempo qu’indique une traduction appropriée (merci Philippe Cassard !) : « en allant avec mouvement ».
Pour finir, un souhait. Car si, ici ou là, on trouve déjà enregistrées par des musiciens actuels, de fort belles versions de tel ou tel trio de Beethoven, il manque une intégrale qui prenne la succession de celle laissé par le légendaire trio constitué par Daniel Barenboïm (piano), Jacqueline Du Pré (violoncelle) et Pinchas Zukerman (violon). C’était il y a cinquante ans. La place est donc libre ...
Stéphane Goldet
Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 19 février 2018 / Prochains concerts de « La Belle Saison » avec ce même programme : Coulommiers (24 mai) ; Béziers (25 mai) ; Gerberoy (9 juin) /http://la-belle-saison.com
Photo David Grimal © Bernard Martinez
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