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Le Trouvère à la Bastille, reprise réussie d’une production âprement discutée lors de sa création
Alberto Savinio a raison de le rappeler à loisir : le Trouvère n’est pas la succession de numéros grandiloquents qu’on imagine, pas plus qu’une histoire improbable pleine de mauvaises musiques couchées sur un mauvais livret, tout juste le destin y mène-t-il un peu trop gaillardement la danse.
La production de Zambello avait attiré les huées de la critique. On se demande bien pourquoi. Mis à part l’épisode du canon et d’Azucena (on garde le suspens, allez voir) et un certain duo du déshabillement qui font plutôt divertissement que scandale, le tout est cohérent, la dramaturgie du livret de Cammarano respectée. Les métallos sur leur pont transbordeur nous évitent pour le chœur des forgerons le sempiternel campement tzigane avec ses types échevelées et ses furies échappées des cauchemars de Goya, la geôle à la fin propose une alternative visuellement captivante qui annule bien des cachots de carton pâte, les décors sont sobres, les éclairages assez formidables, et cette fois ci la distribution frôlait la perfection.
Licitra est un Manrico de grand style, même si les longues tirades que lui confie Verdi manquent parfois d’un phrasé sostenuto, mais l’aigu est vaillant, jamais vulgaire, et porte loin et précis – son Di quella pira brillait d’un autre métal que celui d’Alagna – Diadkova simplement l’Azucena idéale aujourd’hui, Mescheriakova sublime dans l’élégiaque, avec sa voix de lait, même si sa vocalise manque de chair, mais elle a choisi d’incarner une Leonore belcantiste et c’est assez rare pour être applaudi. Le Conte di Luna au timbre charbonneux de Michaels-Moore, impeccable, complétait un quatuor exemplaire d’autant que l’on prétend le Trouvère « indistribuable » de nos jours.
Mais avec un chef aussi précis que Maurizio Benini, préférant toujours mettre en avant les subtilités d’une partition que tant dirigent à la truelle, le plateau était à la fête. Si vous n’avez pas encore vu cette nouvelle production de la Bastille, sa reprise constitue une excellente occasion de vous mettre à jour, et par les temps qui courent un Trouvère musicalement somptueux est un véritable évènement.
Jean-Charles Hoffelé
Le Trouvère de Giuseppe Verdi, Opéra Bastille, le 2 mai, et les 4, 12, 15 et 18 mai prochains.
Salvatore Licitra (Manrico), Marina Mescheriakova (Leonora) : Eric Mahoudeau
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