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L'Enlèvement au sérail au Festival d’Aix-en-Provence - Mozart perdu dans le désert - Compte-rendu
Transposer l'action d'un opéra du répertoire, le mettre en résonance avec l'époque actuelle peut être une démarche pertinente. Le metteur en scène autrichien Martin Kušej l'a érigée en ligne de conduite, et sa lecture de L'Enlèvement au sérail pour le Festival d'Aix-en-Provence n'y échappe évidemment pas.
Cette nouvelle production a, de fait, été précédée d'un important travail confié au dramaturge Albert Ostermaier. L'action désormais se déroule à une époque plus récente : les années 1920, nous dit le dramaturge, quand les Européens, pour pousser leurs intérêts pétroliers, n'hésitent pas à instrumentaliser les peuples du Moyen-Orient. Ainsi le livret est-il copieusement réécrit, mis au goût du jour – avec cette idée saugrenue de juxtaposer dans les passages parlés l'allemand et l'anglais, les airs restant quant à eux inchangés. L'intrigue n'y gagne ni en clarté ni en rythme, cela permet seulement à Martin Kušej de déployer sa scénographie en la balisant de références contemporaines.
Quelle époque exactement ? Difficile à dire : ni tout à fait celle de Lawrence d'Arabie et des lendemains de la Première Guerre mondiale dont parle Ostermaier, ni strictement notre aujourd'hui, bien que Martin Kušej se complaise dans les décalques télégéniques bien trop vus et revus des propagandistes du « djihad ». Plutôt un temps indéfini, de même que le lieu de l'action est un non-lieu.
© Pascal Victor
Nous sommes en plein désert : belle lumière (de Reinhard Traub) et beau décor de sable (d'Annette Murschetz), auquel le fort mistral qui souffle ce soir-là dans la cour de l'Archevêché viendra souvent donner un supplément de réalisme. Côté jardin, une tente : la résidence de Selim Pacha relève de la caravane plus que du sérail. Elle restera le plus souvent fermée, ce qui s'y passe est donc caché. C'est là une très belle trouvaille de mise en scène et celle-ci est bien conduite tout au long de l'œuvre : jamais on ne verra les femmes du harem (pour le chœur final, elles sont placées au fond de la fosse), pas plus que les captives, Constanze et Blonde, n'apparaitront aux fenêtres. Le lieu de l'intrigue est bien à l'extérieur, ce dehors sur lequel Osmin règne bien plus que son maître – et c'est lui qui, d'une manière effrayante, aura le dernier mot, passant outre la mansuétude du Pacha (et le livret original) pour exécuter finalement, hors-scène, le quatuor des « infidèles ».
Mais une fois planté le décor, les failles de la mise en scène se révèlent à chaque air, le chant n'est plus qu'un prétexte et les personnages, livrés à eux-mêmes faute d'une véritable direction d'acteur, composent une suite de tableaux naïfs et complaisants : janissaires délaissant leurs fusils mitrailleurs pour effleurer Constanze pendant son air « Martern aller Arten » ou mortification de Selim, en sang au milieu des roses.
La vision de Martin Kušej, sans tension dramatique, n'est hélas pas vraiment rehaussée par la direction de Jérémie Rhorer. Si le Freiburger Barockorchester sonne avec élégance – en particulier les bois et les cuivres, les cordes devant se battre avec le vent pour se faire entendre – il manque singulièrement d'énergie, si ce n'est, ponctuellement, dans l'ouverture ou le quatuor du deuxième acte. Cette langueur semble par moments s'être communiquée aux solistes. Si l'acteur Tobias Moretti dans le rôle parlé de Selim offre une belle présence, Daniel Behle, Belmonte au beau timbre mais sans relief, comme David Portillo (Pedrillo), finalement plus à l'aise dans les dialogues parlés, ne soulèvent guère l'enthousiasme, bien moins en tout cas que l'Osmin de Franz-Josef Selig, le seul à assumer vraiment la double dimension tragique et comique de l'œuvre. Très tendue au premier acte, la soprano canadienne Jane Archibald se montrera ensuite beaucoup plus convaincante dans le rôle de Constanze, mais moins énergique cependant que la Blonde de Rachele Gilmore. Mais chanteurs et orchestre pouvaient-ils vraiment donner beaucoup plus de vigueur à une production tournant à ce point le dos au rythme ?
Jean-Guillaume Lebrun
Mozart : L'Enlèvement au sérail – Aix-en-Provence, Théâtre de l'Archevêché, 8 juillet, prochaines représentations les 13, 17 et 21 juillet 2015 / www.festival-aix.com
Photo © Pascal Victor
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