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L’Enlèvement au Sérail selon Dieter Kaegi à Marseille – La clémence du Caire
Entre Marseille et Le Caire, c’est à bord d'un Orient Express fantasmé que Belmonte cherche et trouve celle qu’il aime, Constance, retenue prisonnière par le pacha Selim qui en pince pour elle. A une Turquie de fantaisie, le metteur en scène suisse Dieter Kaegi a préféré le luxe du train mythique pour y installer l’opéra de Mozart au temps de la belle époque ; ce choix, assumé depuis 2019 avec la première de cette production donnée à Monte-Carlo, est pour le moins séduisant à en croire le succès rencontré par les représentations marseillaises.
Amélie Robins (Blonde), Loïc Felix (Pedrillo), Constance (Serenad Uyar) & Julien Dran (Belmonte) © Christian Dresse
C’est sur un quai de la gare du Caire que Selim Bassa rend la liberté à Constance et Blonde ainsi qu’à leurs fiancés Belmonte et Pedrillo. Cet acte de clémence marque la fin d’un voyage où les caractères dessinés par Mozart et son librettiste ne sont pas altérés par un relatif confinement ferroviaire. Tout juste celui d’Osmin qui, dans la turquerie originelle, est un peu plus benêt et extrémiste qu’il ne peut l’être en contrôleur chef de train de luxe ou encore une tentative d’évasion par le toit du train dont on se demande quelle aurait pu être son issue si elle avait été favorable… Dieter Kaegi se sort parfaitement de la gageure au prix, il est vrai, de quelques discrets aménagements, notamment dans les surtitres. Le tout fonctionne plutôt bien offrant même quelques prouesses à vue comme l’impressionnant pivotement du wagon qui permet à Constance, fuyant Selim, de se réfugier sur l’esplanade arrière du train pour y donner de façon émouvante son air « Martern aller Arten ».
Francis O’Connor signe de superbes costumes et les vidéos de Gabriel Grinda déroulent les paysages depuis le vieux port jusqu’aux pyramides de Giseh. Un terminus égyptien qui n’est pas incongru que ça puisqu’au-delà de la symbolique, en 1930, à partir d’Istanbul on pouvait rejoindre soit Bagdad, soit Le Caire, via Alep, en empruntant le Taurus Express …
Dans ce train, tout y est : amour, humour, débauche, jalousie, vie… De cette vie qui coulait dans les veines de Mozart dont on ne sait trop s’il montrait vraiment son postérieur aux puissants qu’il avait dans le nez, dont on subodore que la relation avec son père n’était pas un long fleuve tranquille, dont on est quasiment sûr qu’il était un libertin plus ou moins éclairé. La clémence du Caire, celle de Selim, vient ponctuer l’œuvre d’une humanité lumineuse et balayer d’un revers de main turpitudes et violences despotiques. Mais Dieter Kaegi n’étant pas adepte du happy end intégral, il demande à Constance de revenir sur scène et poser ses mains sur le torse du Pacha quelques secondes avant le noir final… Simple geste d’affection reconnaissante ou faut-il y voir une autre signification ? Crime de lèse-Mozart que ces ultimes instants ? Pas vraiment, à notre sens puisqu’en filigrane de cette représentation, Don Giovanni et Così ne sont pas loin tout au long de la représentation.
Bernhard Bettermann (Selim) & Serenad Uyar (Constance) © Christian Dresse
A la tête de l’orchestre de l’Opéra aux très sucrés accents orientaux et à la délicatesse de jeu qui sied à la partition, Paolo Arrivabeni mène bon train et bons tempi alors que le chœur de la maison, par sa précision et sa joie de chanter, fait regretter qu’il n’ait pas plus à faire ici. Instrumentistes et choristes sur les bons rails, il reste aux solistes à mener cet Orient Express à bon port. Serenad Uyar est une Constance fière à la personnalité affirmée. Aux premiers aigus délicats, succèdent des airs bien projetés. Vibrato sensible, le chant ne manque pas d’émotion. Amélie Robins, elle, prenait le rôle de Blonde. En cette deuxième représentation, elle nous a séduit par la justesse d’un jeu mettant en valeur son caractère féministe et une voix franche et directe bien travaillée sur l’intégralité de sa tessiture.
Vocalement précis et bien projeté, Julien Dran offre un très élégant et agréable, Belmonte, troquant sans aucun problème le costume du chevalier téméraire contre celui du dandy de la belle époque – ce qui lui va fort bien. Il y a quelques jours, le ténor bordelais confiait son bonheur de chanter Mozart, bonheur qu’il nous fait partager. Loïc Felix campe un excellent Pedrillo, tant sur le plan vocal que scénique ; quant à l’Osmin de Patrick Bolleire, il est physiquement impressionnant et vocalement inquiétant avec une tessiture sombre renforcée par l’estompage de la dimension comique du personnage. Quant à Bernhard Bettermann, sous de faux airs de Don Giovanni, il apporte l’ambiguïté voulue au Pacha Selim. A Marseille, sans siffler (t) le train est arrivé à l’heure et personne ne s’en est plaint, bien au contraire !
Michel Egéa
Mozart : L’Enlèvement au sérail – Marseille, Opéra, 21 avril ; prochaines représentations les 24 avril et 26 avril 2022 / opera.marseille.fr/programmation/opera/l-enlevement-au-serail
Photos © Christian Dresse
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