Journal

Leonardo García-Alarcón dirige Monteverdi au Festival de la Chaise-Dieu 2024 – Carmina Cappella – Compte-rendu

 

 
Leonardo García-Alarcón, Cappella Mediterranea et le Chœur de chambre de Namur n’étaient pas revenus au festival de La Chaise-Dieu depuis 2010 et les Splendeurs de la polyphonie romaine des contemporains de Giovanni Giorgi. Si la première semaine du 58festival incitait à la découverte du Didon et Énée d’Adèle Charvet avec Le Poème harmonique (1), le retour de Cappella Mediterranea valait le voyage. Les VêpresVespro della Beata Vergine (1610) – de Claudio Monteverdi constituent au côté de L’Orfeo la « pièce signature » du chef d’origine argentine qu’il remet sans cesse sur l’établi (2). La constellation d’étoiles est toujours aussi brillante en dépit de l’absence de la soprano Mariana Flores, tenue quelques jours encore éloignée des scènes – que la peste soit de la laryngite ! ; elle est ici remplacée par l’Italienne Francesca Boncompagni, qui fut du Jardin des Voix de William Christie et qui rejoint Gwendoline Blondeel en front de scène. Pendant près de deux heures, les musiciens visiblement ravis de se retrouver entre les hauts murs de pierre nimbés de bleu marial, ont fait vivre un Monteverdi « latino-méditerranéen » gorgé d’énergie, de contrastes, de couleurs somptueuses et de timbres éblouissants. Leonardo García Alarcón confiait le lendemain qu’ils avaient tous travaillé dans l’amitié des pierres et le respect de leur acoustique spectaculaire.
 

© Bertrand Pichène
 
Coups de fouet et feu sous la cendre

 
La sonorité naturelle de Cappella Mediterranea, plus vive que celle de l’ensemble Elyma de Gabriel Garrido dont García Alarcón fut l’assistant, est propice aux coups de fouet et au feu sous la cendre que le chef aime à nourrir et déclencher d’une main, de deux mains, d’un corps entier qui danse. Le continuo est riche : deux orgues sans compter le clavier du maître, le grain de sel de la harpe de Marina Bonetti, le grain de folie permanent de Quinto Gato au théorbe, le grain noble de la viole de Ronald Martin Alonso… Tous les usual suspects et leurs multiples ressources expressives sont là, fanfares des sacqueboutes et saveurs des cornets à bouquin. Le contre-ténor Léandro Marziotte est en majesté ; chez les ténors, Pierre-Antoine Chaumien répond à Valerio Contaldo, éblouissant soleil vocal dont la générosité fait parfois un peu d’ombre autour de lui. Le ténor italien est tellement indissociable désormais du rôle d’Orfeo que le Duo Seraphim des Vêpres s’entend presque comme le Possente Spirto de l’opéra.
 

© Bertrand Pichène
 
Une intensité à couper le souffle
 
Plus loin encore que dans sa version enregistrée il y a déjà onze ans à Ambronay, Leonardo García Alarcón nous emmène sur un chemin de plénitude radieuse tapissé de voix de marbre et de velours. Il le parcourt sans jamais « perdre d’oreille » la spatialisation du lieu. Qu’il s’agisse des psaumes polyphoniques descendues de la Renaissance au gré des répartitions dans l’abside, les chapelles ou les stalles, du stile recitativo qui se fait l’écho – au propre comme au figuré – des émotions humaines de l’opéra baroque à venir, voire de la « follia » des violons dans la Sonata sopra Sancta Maria, rien n’est immobile dans ces Vêpres – coup de chapeau aux équipes techniques qui ont repensé l’espace en fonction. Ainsi, pour prendre un exemple parmi tant d’autres, le psaume Nisi Dominus semble réinventer l’acoustique naturelle, l’espace s’ouvre comme si l’on avait fait tomber les murs, les choristes comme fondus dans l’ensemble et cependant chaque grain de voix singulier perceptible. L’intensité et la clarté sont à couper le souffle ou à accélérer le pouls, chacun sa pathologie. Au tomber de rideau virtuel sur les Gloria et Sicut erat du Magnificat, les solistes au centre du chœur, tous alignés, les yeux sans doute plongés dans ceux de Monteverdi qui était là ce soir et les regardait, l’espace sonore de l’abbatiale était immensément saturé de musique. Nous étions ici entre mélomanes et musiciens bien vivants. Un ancien, familier du festival, aurait laissé entendre que ces Vêpres étaient les plus belles entendues ici. On laissera les archéologues débattre du reste…
 

© Bertrand Pichène
 
Soleil latin

Le lendemain, les mêmes musiciens revenaient en effectif resserré donner, dans l’abbatiale transfigurée par le soleil d’après-midi, leur programme Carmina Latina, « chansons latines » profanes et sacrées au croisement du baroque espagnol et des musiques populaires latino-américaines des XVIet XVIIsiècles. C’est la soprano Sofie Garcia qui embarquait dans la nef pour conter cette histoire d’amour qui coule dans les veines de Leonardo et des siens, initiée par la déambulation sur Hanacpachap cussicuinin (« Joie du ciel »), premier chant marial écrit en quechua au XVIIe siècle. Si la joie de chanter, danser, musiquer avait une couleur, ce serait le rouge carmin. Tous se sentent à la maison dans cette exubérance populaire, bouffonne et virtuose qui fait lever le soleil latin sur des visages à l’évidence ravis de partager ça avec nous.
 
Entre deux concerts, on aime à marcher un peu à l’écart. Sur les hauteurs du village, un point de vue donne sur les marées immobiles du paysage et les tours impressionnantes de l’abbatiale. Un des moines mélomanes de la communauté s’y était assis. On s’est bien gardé de troubler sa méditation, mais l’on se disait qu’il y avait ici quelque chose d’indescriptible qui permettait aux festivaliers – en dehors même de toute croyance sinon en la musique – de s’élever un peu dans la compagnie du genre humain.
 
Didier Lamare
 

 Voir les prochains concerts "Monteverdi" en France <

1. www.concertclassic.com/article/voix-sacrees-et-profanes-au-festival-de-la-chaise-dieu-2024-magie-et-mysteres-compte-rendu
2. www.concertclassic.com/article/les-vepres-de-la-vierge-par-la-cappella-mediterranea-la-chapelle-royale-de-versailles
 
La Chaise-Dieu, abbatiale Saint-Robert, 27 août et 28 août 2023
www.chaise-dieu.com/programmation/vepres-de-monteverdi/
www.chaise-dieu.com/programmation/carmina-latina/
 
 
Photo © Bertrand Pichène

Partager par emailImprimer

Derniers articles