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Les adieux d’Aurélie Dupont – Sa plus belle révérence – Compte-rendu
Etrange cérémonie que celle de ces adieux d’étoiles qui scandent désormais la vie du Ballet de l’Opéra : moment de tristesse vaillamment affronté par des artistes qui s’éclipsent encore en pleine jeunesse, en pleine possession de leurs moyens artistiques, à l’acmé d’un engagement qui les dévore parfois. Le public se rassemble pour un étrange sacrifice : la mort symbolique, à plusieurs niveaux, d’une star qui va souffrir pour lui, lui tirer des larmes et qu’il n’aimera que mieux au moment de la fêter dans la joie revenue, tandis que l’idole se transforme en poupée cassée, devant une salle debout qui hurle son amour. Moments forts, hautement symboliques de la consommation de l’artiste vivant qui vogue comme il peut sur ces vagues.
Et le public, autant que l’artiste, aime les belles morts : ainsi récemment Agnès Letestu s’éclipsa-t-elle en Dame aux Camélias. Aurélie Dupont a donc choisi les haillons de Manon, fleur fanée, laminée après avoir scintillé de la vigueur de sa jeunesse et de son amour du plaisir, parée de l’éclat factice des diamants qui causeront sa perte. Créé en 1974, entré au répertoire de l’Opéra en 1990, le ballet de Kenneth Mac Millan, le plus grand chorégraphe anglais, est une pure merveille, dans le style des grandes histoires chorégraphiées comme le fit John Cranko et dont John Neumeier devait brillamment reprendre le flambeau. Une filiation très nette unit d’ailleurs cette Histoire de Manon à sa Dame aux Camélias, dans laquelle figure un tableau de Manon Lescaut, théâtre dans le théâtre.
Sur des musiques de Massenet, dont aucune n’est tirée de l’opéra, le ballet séduit et convainc par sa finesse psychologique, la souplesse de sa chorégraphie, l’intelligence du découpage dramaturgique, et la splendeur absolue des décors et costumes de Nicholas Georgiadis. Créée par un couple exquis à l’intensité dramatique déchirante, Manuel Legris et Monique Loudières, l’Histoire de Manon a eu un destin heureux à Paris où les plus belles ballerines ont affronté avec intensité ce beau rôle d’enchanteresse flouée devenue pantin, de la dure Sylvie Guillem à la douce Fanny Gaïda, de la foudroyante Isabelle Guérin à la délicate Aurélie Dupont.
Encadrée, soutenue par l’Orchestre de l’Opéra que Martin Yates dirigeait amoureusement, elle a incarné, plus encore que pendant toute sa carrière d’étoile (depuis 1998), tant la force du moment l’y portait, cette exquise figure de grâce féminine et langoureuse, subtil mélange de rouerie et d’innocence qui va si bien à sa silhouette menue sans maigreur, à son tracé moelleux, à ses bras onduleux, à sa sensualité légère. Un physique touchant qui sait se faire éclatant ou piquant, loin des normes de la ballerine classique sacramentelle: plus Cotillard que Plissetskaïa certes, mais, tapies derrière ces délicates séductions, des ressources extrêmes de violence et de sauvagerie, notamment dans le Sacre du Printemps de Pina Bausch, qui la révéla à elle-même, comme elle le répète à l’envi.
© Julien Benhamou
Une demi-heure d’applaudissements saluant l’étoile et ses fabuleux partenaires, Stéphane Bullion et la vedette italienne Roberto Bolle, beaux comme des dieux, une salle brillante marquée par de nombreuses figures du cinéma, et notamment Cédric Klapisch qui lui a offert en 2010 avec son film Aurélie Dupont danse, l’espace d’un instant, le plus délicat des hommages : car Aurélie Dupont n’a pas été qu’une vestale de la danse, mais aussi une belle mondaine, parée des plus brillantes créations de la haute couture. Tandis que coulaient les larmes sur son masque de jolie fille devenue poupée chiffon, l’hommage du public a été à la hauteur de sa voracité. On retiendra un tableau heureux, délicieux, celui de deux tout petits encadrant leur maman au salut final, les enfants de la ballerine, jouant dans les volutes d’étoiles brillantes qui tombaient des cintres. Image fellinienne de bonheur et de renouveau, avant le grand tournant de la vie d’Aurélie Dupont, qui transmettra le flambeau dès la rentrée, puisqu’elle deviendra maître de ballet à l’Opéra, rôle riche et difficile, qui tient de la mission. Elle se sent prête.
Jacqueline Thuilleux
L’Histoire de Manon (Musiques de Massenet / chor. Kenneth Mac Millan) – Paris, Palais Garnier, 18 mai, dernière représentation, le 20 mai 2015. www.operadeparis.fr
A voir : Aurélie Dupont danse, l’espace d’un instant, documentaire de Cédric Klapisch (1 DVD MK2)
Filmée par Cédric Klapisch, la soirée des adieux sera retransmise sur France 3, le 30 mai 2015, précédée de son documentaire.
Photo © Julien Benhamou
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