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Les Archives du Sièce Romantique (37) – « Finir ... », scène de la revue Gloz…ons (1928) écrite par Jean Rieux et Henri Dumont pour L’Œil de Paris

 
Un an et demi après les P’tites Michu d’André Messager, la Compagnie Les Brigands retrouve la scène de l’Athénée (vingt dates du 19 décembre au 16 janvier) pour une nouvelle production montée en coproduction avec le Palazzetto Bru Zane : Yes ! de Maurice Yvain (photo, 1891-1965), dans un mise en scène de Vladislav Galard et Bogdan Hatisi.(1) 
Formé au Conservatoire de Paris par Louis Diémer et Xavier Leroux, Yvain fut très tôt attiré par l’univers du cabaret (il se produisit comme pianiste au Quat’z’Arts) et entama une splendide carrière dans les domaines de la chanson et de l’opérette dès le tout début des années 1920.
 
Albert Willemetz (à g) et Maurice Yvain (à dr.) © Collection Jacques Gana

Après le succès de la chanson Mon homme (1920), popularisée par Mistinguett, Ta bouche (1922), sur un livret d’Yves Mirande et des lyrics d’Albert Willemetz (1887-1964), marqua le premier triomphe du musicien dans le domaine de l’opérette. Willemetz, un partenaire qu’Yvain retrouva pour Là-haut (1923), La Dame en décolleté (1924) puis, après une pause de trois ans, pour Yes !, que le tandem mit en chantier à partir de 1927 à la demande d’Armand Berthez, directeur du théâtre des Capucines où l’ouvrage fut pour la première fois représenté le 26 janvier 1928.

Maurice Yvain célébrité indissociable du Paris des années folles ... Trois jours après la création de Yes !, la revue Gloz...ons, écrite par Jean Rieux et Henri Dumont pour L’Œil de Paris (2), faisait du compositeur le personnage d’une de ses scènes, intitulée « Finir ... ». Moment savoureux, qui nous plonge dans l’intimité d’un musicien occupé à finir la « Symphonie inachevée » et se termine par l’apparition ... de Schubert ! Le texte fut publié le 7 février 1828 dans les colonnes de Comœdia, incontournable journal de l'époque.
Alain Cochard
 
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Maurice Yvain par Félix Gir © Bnf Gallica

Finir…

[Scène de la revue Gloz…ons, écrite par Jean Rieux et Henri Dumont pour L’Œil de Paris ; reproduite dans le journal Comœdia le 7 février 1928]
 
Un salon chez Maurice Yvain. Grandes tentures grises. Dans le fond, quelques marches. En scène, un piano, au-dessus duquel un abat-jour moderne répand une lumière tamisée.
Au lever du rideau, Maurice Yvain est au piano. Il égrène quelques notes, on devine qu’il est en train de composer, fébrilement, quelque œuvre nouvelle. 
YVAIN. — Je ne finirai jamais aujourd’hui !
LULU, entrant. — Eh bien, Maurice ?... le potage est servi.
YVAIN. — Le potage !... Flûte ! tu me coupes l’inspiration.
LULU. — Je crève de faim.
YVAIN. — C’est justement pour que tu ne crèves pas de faim que je travaille.
LULU, haussant les épaules. — Ça va... Ce n’est pas parce que Mistinguett t’a supplié de lui faire une chanson qu’il faut t’esquinter. Maurice Yvain peut faire attendre Mistinguett. 
YVAIN. — Il s’agit bien de ça ! (lui montrant la musique posée sur le piano) : Regarde. 
LULU, lisant. — « La symphonie Inachevée », de Schubert… Qu’est-ce que tu fabriques avec Schubert ?
YVAIN. — Je l’achève ! (geste de Lulu, signifiant : « il est piqué »). Tu n’as pas lu l’article dans le journal ?
LULU. — Non.
YVAIN. — Les Américains ont ouvert un concours entre les compositeurs du monde entier. Il s’agit de terminer cette fameuse symphonie. Comprends-tu ?
LULU. — Et tu t’imagines, que toi…
YVAIN. — Eh bien, quoi, moi ? si je veux prouver que mon talent dépasse le niveau du vulgaire caf’ conc’... Ce concours va avoir un grand retentissement Et puis, Le prix est d’importance. 
LULU. — Bon, je ne veux pas te contrarier… Mais viens dîner…
YVAIN. — Une seconde, bon sang ! Je tenais un motif…
LULU. — Oui. Tu en as pour une heure. L’année dernière, tu m’as fait le coup avec « Je t’emmène à la campagne ». 
YVAIN. — C’est vrai. Je n’arrivais pas à trouver les quatre dernières notes (fredonnant) : « Malgré qu’tu fass's des magnes, Pour ta santé, moi je l’emmène… » Ah ! ce « mi », j’étais buté dessus. Il fallait quelque chose d’imprévu pour finir. Et puis, tout à coup, ça m’est venu ! (chantant) : À la campagne ! Ce « À la campagne », quel trait de génie ! 
LULU, excédée. — Oh !
YVAIN, brusquement. — Ça y est, je crois que j’ai trouvé (il fredonne un motif de la symphonie, puis conclut en chantant) : Tag, ta gadag, dag, tsoin, tsoin ! 
LULU. — Écoute. Si dans une minute, tu n’es pas à table, moi, je file au restaurant.
YVAIN. — Tu ne comprends rien aux artistes. Je suis hanté par Schubert et tu me parles d’aller dîner !... Enfin ! Je te suis, va ! je finirai tout à l’heure. (Lui emboîtant le pas). Ah ! finir… finir… 
(Au moment où Maurice Yvain sort, à droite, la draperie du fond s’écarte et on voit apparaître, en haut des marches, Schubert. Redingote bleu foncé, cravate noire, gilet blanc, pantalon à sous-pieds.)
SCHUBERT, paraissant. — Finir !... pourquoi finir ?.. Ces jeunes compositeurs sont insatiables.. (il descend en examinant la pièce). Fichtre, celui-ci est bien installé… (il examine le piano). Un beau meuble ! (Il plaque quelques accords). Et un bon instrument !... (Il aperçoit la partition ouverte sur le piano). Qu’est-ce que c’est que cela ?... À quoi travaille donc M. Maurice Yvain ?... À quelque nouvelle opérette, sans doute ! Opérette ?... Hum ! n’exagérons rien ! (il prend la partition). Encore quelque histoire de bouche, sans doute « Ta Bouche ». « Pas sur la bouche »... Ah ! monsieur Maurice Yvain, laissez donc la bouche tranquille, et occupez-vous un peu plus de l’oreille ! (il ouvre la partition). Voyons ça !... (il lit le titre). Hein ! (la surprise le fait tomber assis sur le tabouret). « La symphonie inachevée de Schubert ». Ma symphonie. De toutes mes œuvres, c’est la plus connue, la plus aimée. Et c’est elle que Maurice Yvain voudrait finir !... Profane !... Finir. Pourquoi finir ?... (sa main frôlant le clavier, il joue doucement le leit-motiv sur lequel se greffe une nouvelle mélodie et il chante) : 
 
[Chanson “Le charme des symphonies inachevées”, sur une musique d’André Sablon.]
 
(La chanson achevée, Schubert se lève et remonte vers le fond. Arrivé en haut des marches, il se retourne, la main à ta draperie qu’il écarte déjà pour sortir et s’adresse au public) :
Ah ! c’est vrai, pardon !... Mesdames et messieurs, j’ai l’impression, de vous décevoir : « Comment dites-vous, Schubert s’en va, il n’attend pas Maurice Yvain ? Il n’y aura pas de dialogue entre eux ? Mais alors, comment finira la scène ?... » Eh ! bien ! elle ne finira pas. Ou plutôt, c’est vous qui la finirez à votre idée. Ainsi, vous n’aurez pas de désillusion… à peine, peut-être, un petit regret. Et cela est charmant, n’est-ce pas ?
(Il chante) : 
Mes répliques, c’est vous qui les aurez trouvées. 
Ainsi donc, ne moralisons pas. 
À quoi bon conclure ici-bas ? 
Qui dira, 
Qui dira, 
La profondeur des scènes inachevées ?
 
(1) Yvain : Yes !
Du 19 décembre 2019 au 14 janvier 2020
Paris – Athénée Théâtre Louis-Jouvet
 
(2) Cabaret de revues, situé au 4bis rue de l’Etoile dans le 17e ardt, L’Œil de Paris ouvrit fin mai 1926. Après-guerre, la salle devint Comédie-Wagram, puis Foly-Etoile et fut démolie en 1964.

Photo :  Maurice Yvain en 1951 © Collection Jacques Gana

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