Journal
Les Archives du Siècle Romantique (73) – Quand Louise Bertin devançait Berlioz (Le Corsaire 24 novembre 1826)
Comme toujours impatiemment guetté par les férus de musique française rare, le Festival Palazzetto Bru Zane Paris (1) promet de faire une fois de plus les délices du mélomane curieux. Quatre programmes l’attendent avec, dès le 19 juin, une anthologie de « Motets du Second Empire à la Troisième République », qui verra le Chœur de Radio France explorer des pièces de Fauré, Chausson, Sohy, Chaminade, Gounod, Saint-Saëns, Grandval, Bonis et Delibes, sous la direction de Christophe Grapperon.
Après un démarrage à Radio France, c’est au théâtre des Champs-Elysées qu’à partir du lendemain se poursuivra la manifestation avec d’abord Fausto de Louise Bertin, rareté lyrique servie par une superbe distribution, on va y revenir.
Le 23 juin, un grand fidèle du Palazzetto – plus, celui qui, un jour, souffla la formidable idée du Centre de musique romantique française à Nicole Bru –, Hervé Niquet, retrouvera l’Orchestre de Chambre de Paris dans un programme « Compositrices romantiques » où, en plus de pages de Bertin, Farrenc, Danglas, Grandval et Holmès, on entendra le Concerto n°2 (1884) de Marie Jaëll sous les doigts de David Kadouch ; une composition dont le souffle enthousiasma en son temps un certain Franz Liszt. Ce concert tout féminin rappelle que le Palazzetto nous a offert en début d’année un coffret « Compositrices » riche d’étonnantes découvertes. (2)
Gâté par le Palazzetto cette saison, Massenet aura le mot de la fin avec le rare conte lyrique Grisélidis (1901), d’autant plus attendu qu’il a emporté l’adhésion du public au début de ce mois de juin à Montpellier, avec Vannina Santoni dans le rôle-titre, sous la direction vivante et raffinée de Jean-Marie Zeitouni avec l’Orchestre national Montpellier Occitanie. (3) La phalange occitane (en superbe forme au terme des années Schønwandt, si fructueuses ! ) et la distribution saluées à Montpellier seront au rendez-vous le 4 juillet avenue Montaigne ... en attendant un enregistrement dont la parution est prévue à l’automne 2024.
Karine Deshayes © Aymeric Giraudel
Quelques jour avant Grisélidis, c’est donc le Fausto de Louise Bertin (1805-1877) qui résonnera au théâtre des Champs-Elysées, sous la direction de Christophe Rousset ; un opéra semi-seria en quatre actes, inspiré de l’ouvrage de Goethe, dont la première se tint à Paris le 7 mars 1831. En italien, en raison du lieu qui accueillait sa création(le Théâtre-Italien), Fausto fut donné avec un ténor dans le rôle-titre, mais on sait qu’il avait été initialement pensé pour un rôle travesti. C’est à cette mouture originelle que Rousset revient au TCE, avec Karine Deshayes en Fausto, Karina Gauvin en Margarita et Ante Jerkunica en Mefistofele. Prometteuse équipe ...
Page de couverture de l'Ultima scena di Fausto publiée chez Schlesinger © Herzogin Anna Amalia Bibliothek Weimar
L’intérêt de Louise Bertin pour le Faust de l’écrivain allemand, le moment auquel il s’est manifesté plus exactement, confère un rôle de pionnière à la compositrice. On pense généralement qu’Hector Berlioz fut le premier compositeur français à s’intéresser à Faust, lui qui composa en 1829 Huit scènes de Faust dans la foulée de la sortie, l’année précédente, de la traduction en français du livre de Goethe par Gérard de Nerval – acte littéraire majeur pour le romantisme français. Il n’en est rien comme le prouve un article paru dans Le Corsaire du 24 novembre 1826 (4), enthousiaste malgré les considérables limites des interprètes que le commentateur (anonyme) avait entendus. Ces quelques lignes à la page 2 du journal, glissées entre des informations relatives pour les unes à l’actualité du Théâtre Royal de l’Odéon, pour les autres aux suites judiciaires données à des troubles survenus au théâtre des Célestins à Lyon, nous apprennent en effet qu’une Ultima scena di Fausto, signée d’une certaine Louise Bertin, venait d’être exécutée dans un salon parisien et que, de surcroît, la partition était disponible chez l’éditeur Schlesinger. Un Scène finale de Faust que l’autrice a d’ailleurs reprise avec quelques modifications en conclusion du Fausto que l’on s’apprête à entendre au théâtre des Champs-Elysées. En prélude à cette soirée attendue, le 73e épisode des Archives du Siècles Romantiques vous présente l’article du Corsaire.
Alain Cochard
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Le Corsaire, 24 novembre 1826
Ultima scena di Fausto (Dernière scène de Faust).
Je viens d’entendre, dans un salon, exécutée par quelques amateurs médiocres, une scène musicale, que le génie de Goëthe a inspirée, et pendant un quart d’heure, je me suis cru transporté dans un monde extraordinaire, idéal ; j’ai éprouvé des émotions ravissantes et terribles, j’ai prêté l’oreille aux accens du ciel et de l’enfer. Quelle fut ma surprise quand on me dit que le morceau que je venais d’entendre était l’ouvrage d’une jeune personne, d’une muse française, de Mlle Louise Bertin ! Je me demandais quel pouvait être le nouveau rival de l’auteur du Freischütz, et j’étais loin de penser que ce rival appartenait au sexe des Clorinde et des Delphine Gay.
Je crois que la dernière scène de Faust, arrangée à grand orchestre, obtiendrait un succès d’enthousiasme, et je désire vivement qu’on en fasse l’essai dans un concert ou dans un entr’acte de quelque représentation à bénéfice.
Dans les salons, le succès de cette production originale doit être immense. Il faut, pour l’exécuter, une voix de femme (soprano) : deux voix d’hommes (contralto et basso) ; les chœurs des démons et des anges peuvent être chantés par tout le monde.
Je trouve au bas de ce morceau le nom de M. Maurice Schlesinger dont le magasin vient d’être r’ouvert au public, et qui par un nombre infini de nouveautés remarquables, a su rappeler la foule comme par le passé, rue de Richelieu, n. 97.
Consulter partition en ligne :
haab-digital.klassik-stiftung.de/viewer/image/1200767276/2/LOG_0000/
(1) 10e Festival Bru Zane / 19 juin-4 juillet 2023, programme détaillé : bru-zane.com/fr/#
(2) www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-70-des-femmes-instrumentistes-et-compositrices-lopinion
(3) www.concertclassic.com/article/griselidis-de-massenet-en-version-de-concert-lopera-de-montpellier-rien-quun-miracle-compte
(4) Article que l’on retrouve sur le site Gallica de la BnF, vraie mine d’or pour tous les amoureux d’Histoire : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k46867741/f1.item
Photo : Louise Bertin, illustration parue dans le magazine Musica / Nov. 1909 (p. 163) © Bibliothèque du Conservatoire de Genève.
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