Ovationné la saison dernière au Palais Garnier dans le rôle principal du Peter Grimes mis en scène par Deborah Warner, Allan Clayton revient à Paris défendre la musique de son compatriote Benjamin Britten. Cette fois, c’est vers les Canticles, série d’œuvres inclassables et uniques, à la frontière entre opéra de chambre, cantate et mélodie, que se tourne le ténor. Composés sur plusieurs décennies (entre 1947 à 1974), ces partitions oscillent entre sacré et profane et sont rarement données leur intégralité. On sait gré à Alphonse Cemin, directeur musical des Lundis Musicaux de l’Athénée, d’avoir programmé la totalité du corpus. Les cinq Canticles brillent par leur originalité tant du point de vue formel que celui de l’effectif. Malgré la place centrale du ténor, le baryton et le contre-ténor ponctuent également le récit, soutenus par le piano quand il ne s’agit pas du cor ou de la harpe.
Conçu comme un véritable spectacle scénique, le programme (qui ne suit pas l’ordre des pièces) démarre par l’intervention d’une récitante : l’actrice britannique Dame Harriet Walter. Déclamant un extrait du Canticle I : My beloved is mine and I am his op. 40, elle fait résonner puissamment les mots de Francis Quarles mis en musique par Britten. Ses diverses interventions mettent en lumière l’importance et la force de la prosodie pour le compositeur et nous font davantage apprécier la beauté de ce qui suit.

Allan Clayton se lance tendrement dans My beloved, en compagnie du pianiste Julius Drake. Dans cette ode à la gloire de Dieu, comment ne pas aussi entendre l’amour de Britten pour Peter Pears ? (Il est mien par foi et je suis sien par amour…). Composé deux ans avant la mort du compositeur le Canticle V, The Death of Saint Narcissus op. 89, permet de retrouver la harpiste Olivia Jageurs accompagnant le ténor dans l’une des pages les plus mystiques des Canticles. Puis, le Canticle IV, The Journey of the Magi op. 86, réunit autour du ténor, le baryton britannique George Humphreys et le contre-ténor américain Christopher Lowrey. Britten s’est ici inspiré du poème de T.S. Eliot contant le voyage des Rois mages. Les chanteurs traduisent toute la subtilité de la langue anglaise.
Le Canticle III, Stills falls the rain op. 55, sur un poème de Dame Edith Sitwell, fait d’abord place au cor de Richard Watkins et au piano de Julius Drake, bientôt rejoints par le ténor. Pièce déroutante, en forme de variations, elle fascine par la répétition des mêmes mots – Stills falls the rain ... – au commencement de chaque verset, comme autant d’épreuves jalonnant le cours de l'existence.
Le choix de terminer le concert par le Canticle II, Abraham and Isaac op. 51, n’est pas anodin. Ce duo entre ténor et contre-ténor, accompagné par le piano, fascine littéralement. Arrivant lentement des coulisses (il faut d’ailleurs souligner l’adéquate et élégante mise en espace de la soirée et la présence du sur-titrage en fond de scène), Christopher Lowrer incarne Isaac, avec sa voix très justement enfantine, tandis qu’Allan Clayton campe Abraham avec toute la dureté nécessaire. Le piano de Julius Drake se fait roi et referme magistralement ces Canticles.

Pour le salut final, c’est dans une esprit de troupe que les interprètes viennent se présenter. Le public applaudit cette belle cohésion, et félicite plus particulièrement Allan Clayton, aussi bon chanteur qu’acteur, autant à l’aise sur une scène d’opéra que dans un contexte chambriste. Sa voix allie tendreté et puissance (frôlant même parfois la saturation dans l’acoustique de l’Athénée). La justesse avec laquelle il comprend et pénètre la musique de Britten en fait l’un de ses plus grands interprètes. Une soirée à marquer d'une pierre blanche.
 
Marion Guillemet