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Les Percussions de Strasbourg au Festival international de Colmar 2024 – Du rêve à la transe – Compte-rendu

De la capitale alsacienne à Colmar, le chemin est vite parcouru et pourtant ce n’est que soixante-deux ans après leur fondation que les Percussions de Strasbourg auront été pour la première fois invitées au Festival de Colmar. Un événement ! Leur présence apparaît symbolique de la nouvelle orientation que la manifestation prend sous la houlette d’Alain Altinoglu, directeur artistique depuis l’an dernier, avec une programmation plus diversifiée et plus ouverte que par le passé. Le public avait en tout cas fait le déplacement en nombre pour découvrir un programme admirablement construit et équilibré dans lequel Bach tenait compagnie à des pages majeures du XXe et même du début du XXIe siècle.
 

Alexandre Esperet © FIC - Bertrand Schmitt

Si l’ensemble strasbourgeois totalise 18 membres, c’est en petite formation qu’il s’est présenté à Colmar avec Minh-Tâm Nguyen (son directeur artistique), Alexandre Esperet et Thibaut Weber, musiciens dont a pu apprécier les qualités en trio et individuellement.
La Sonate en trio n°6 BWV 530 ouvre le programme. Avec le je-ne-sais-quoi de flottant que lui apportent les percussions-claviers dans l’acoustique plutôt large de l’église saint-Matthieu, la musique de Bach semble être entendue en rêve – poésie merveilleuse du Lento ... Le calme avant la tempête. Le temps de poser les baguettes et les trois musiciens sont au djembé (photo) pour Okho de Xenakis, pièce écrite en 1989 à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française (pour le trio Le Cercle) dont ils libèrent la force brute et primitive de la plus jubilatoire façon.
 

© FIC - Bertrand Schmitt

Avec Les Invariants : Cinq clairières de Michaël Levinas (2021), les Percussions de Strasbourg retrouvent les claviers et une partition dont elles ont suscité la composition ; la troisième écrite à leur intention par le Français après Voûtes (1988) et Tic, Tac ... (2001). Dès le Choral en larmes introductif, on plonge dans un univers sonore dont la fluidité, la liquidité faudrait-il dire, et la prégnance captivent. Pour diversifier au maximum la palette sonore, Levinas se sert de baguettes, de chaînes métalliques (glissées sur les instruments), d’archets aussi dans Le manège de la note. Sans doute le moment le plus poétique et secret d’un ouvrage dont les exécutants traduisent la formidable complexité en parvenant à lui donner l’apparence de la plus complète liberté. Quel art ...
Fin de première partie en solo avec Alexandre Esperet qui s’empare de la redoutable Psappha de Xenakis, que Silvio Gualda, son commanditaire, créa en 1976. D’une effarante difficulté, la partition prend des allures de rituel incantatoire tant l’exécutant maîtrise avec une autorité absolue le saisissant déploiement de cette cathédrale de rythmes. Une expérience dont on sort aussi admiratif qu’un peu groggy ...
 

© FIC - Bertrand Schmitt

Après la pause, Bach est de retour avec la Sonate en trio n°3 BWV 527 : l’effet est comparable à celui produit par le BWV 530 en début de programme et l’on est à nouveau admiratif de la qualité du legato et du raffinement des nuances auxquels parviennent les trois exécutants.
Après Alexandre Esperet – qui a bien mérité quelques minutes de repos ! –  Thibaut Weber et Minh-Tâm Nguyen sont en scène pour se partager les deux solos dont est constitué Rebonds A & B de Xenakis, là encore un composition destinée à Silvio Gualda qui en donna la première audition en 1988. Une fois de plus chez ce compositeur, la notion de transe prend tout sens, avec une violence concentrée uniquement sur les peaux dans le A tandis le B, pour les mêmes instruments, s’enrichit de frémissements de wood-blocks. Effet coup de poing garanti, après lequel la conclusion revient à Tōru Takemitsu et son Rain Tree (1981).
La pièce est chère aux Percussions de Strasbourg qui en ont signé un très bel enregistrement en 2019, en compagnie de pages de Taïra, Kishino et Hosokawa. Impossible de résister à la magie d’un chef-d’œuvre dont les interprètes traduisent la poésie d’une manière aussi sensuelle que mystérieuse.

Un premier concert au Festival de Colmar chaleureusement accueilli par l’auditoire et ... un peu de Chick Corea en bis pour prolonger le plaisir !
 
Alain Cochard
 

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Colmar, église Saint-Matthieu, 12 juillet 2024

Photo © FIC - Bertrand Schmitt

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