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Les Troyens au Staastheater de Darmstadt - Grand répertoire - Compte-rendu
Vale, Germania, alma parens ! Cette exclamation de Berlioz, qui clôt dans ses Mémoires le récit de son premier voyage en Allemagne, saute à l’esprit. Car l’Allemagne apparaît bien la contrée élue de Berlioz, au rebours d’une France toujours mal amante de son compositeur national. C’est ainsi que chaque saison y apporte son lot de Troyens, avec cette année pas moins de trois productions différentes. Au tour donc, cette fois-ci, de Darmstadt (mais le même jour à Weimar il y a Béatrice et Bénédict, tant les opéras de Berlioz sont régulièrement servis en ce pays). La ville des post-sériels d’après-guerre entend vouloir renouer avec la trace du compositeur, qui donna un concert en 1843 dans la capitale du Grand-Duché de Hesse. À moins qu’il s’agisse d’un autre prétexte : quand on sait que Darmstadt est aujourd’hui jumelée… avec Troyes ! À quand alors des Troyens à Troyes, ville française comparable en importance ? Rêvons…
La production ne se signale guère, nonobstant, par des traits exceptionnels, sinon par une espèce de conformité avec ce que doit être un grand ouvrage du répertoire : parfaitement servi, sans aucune indignité. C’est ainsi qu’entre un Ring complet (bicentenaire de Wagner oblige !), le Staastheater présente des Troyens tout aussi complets. Il semblerait donc, ces derniers temps, qu’il en soit fini des malversations et autres coupures infligées à l’ouvrage, depuis Covent Garden à Londres ou le Metropolitan de New York, les uns et les autres conformes à la récente partition chez Bärenreiter (tout du moins). Le répertoire, disions-nous…
Et comme pour tout répertoire, le succès peut être divers, aussi fidèle que se veuille sa transmission. L’achoppement principal serait ici à mettre au compte de la mise en scène de John Dew, actuel directeur du Staastheater. Ce n’est pas son premier essai en la matière, puisqu’il avait déjà signé des Troyens en 1998 pour l’Opéra de Dortmund. Il a depuis lors entièrement revu sa copie, mais sans réellement parachever son brouillon. En témoignent deux premiers actes affligeants d’inanité, entre des ténèbres obstinées qui masquent mal une cruelle absence de direction d’acteurs, des idées absurdes (ce Priam grimé en Napoléon III ! copié de celui de MacVicar à Covent Garden) ou passe-partout (un cheval de bois aussi laid que contraire aux didascalies – tout comme, encore, celui de Covent Garden !). Le troisième acte reprend de la couleur, avec des masses chorales qui savent bouger sous des lumières bariolées.
Les deux actes suivants jouent d’une même note assez appropriée, entre statuaires antiques et costumes façon boubous africains, et en sus, au quatrième acte, des ballets qui méritent un éloge : bien amenés, par l’introduction d’une sorte de bal de cour, suivi de savoureux gestes saccadés. Bravo à l’imaginative chorégraphe Mei Hong Lin ! qui nous change de manière rafraîchissante des laborieux entrechats trop vus par ailleurs. L’ensemble reste malgré tout assez conventionnel, sans la force et l’invention de la production l’an passé à Carlsruhe (voir le compte-rendu), reprise cette saison – heureux Allemands ! qui ont le choix entre des Troyens différents à seulement une centaine de kilomètres de distance.
La restitution musicale serait du même ordre, mais ici pour le meilleur. La cohésion et l’ardeur des chœurs frappent d’entrée, dès la première intervention de la Populace troyenne. L’apparition de Cassandre ramène au prosaïsme : la voix de Katrin Gerstenberger est dure, sans réelles nuances, même si l’émission ne fait jamais défaut. Et passons sur un Chorèbe de circonstance, vocalement empâté. Néanmoins, chœur et orchestre se révèlent déjà intensément présents, en dépit de l’acoustique froide du vaste et anonyme théâtre moderne. Et il en sera ainsi jusqu’à la toute fin de l’ouvrage, hors de fugaces accrocs instrumentaux dans une partition difficile entre toutes, grâce à la direction ferme et ciselée de Martin Lukas Meister. Pour les trois derniers actes, le plateau vocal se rachète avec une Didon de belle stature, l’une des meilleures actuelles, en la personne d’Erica Brookhyser, qui conjugue justesse du style et ductilité du phrasé (et beauté plastique, ce qui n’est pas accessoire pour la reine de Carthage).
Hugh Kash Smith ne manque pas lui non plus de prestance, Énée crédible – son “ Je suis Énée ”, mais oui ! c’est bien lui – qui use judicieusement de la voix de tête (dans le duo du quatrième acte, l’andante dans son air du cinquième), comme Berlioz le prescrit, mais sait garder des élans au moment de ses adieux. Peut-être, précisément, aurait-on mieux goûté en ce registre (si l’on peut dire), une technique mixte maîtrisée, avec des notes de passage d’un registre à l’autre moins arrachées. Mentionnons aussi de l’Anna de Ninon Dann, avec son joli timbre de quasi alto (comme il se devrait) ou l’Hylas de Lasse Penttinen, et sa chanson délicieusement jetée de filins haut perchés auxquels il s’agrippe. Nombre de petits rôles seraient ainsi à citer pour leur adéquation, comme les deux Sentinelles, crânement campées par Malte Godglück et Daniel Dropulja, pour ne s’en tenir qu’à ces exemples parmi de bons chanteurs tous issus de la troupe même du théâtre. Puisqu’il s’agit, musicalement, de Troyens gratifiants, qui méritent assurément le déplacement. D’autant plus avec le jeûne auquel contraint la France.
Pierre-René Serna
Berlioz : Les Troyens – Darmstadt, Staastheater, 9 mars, prochaines représentations : 23, 31 mars, 13, 21 avril, 18 mai, 15 et 23 juin 2013 / http://www.staatstheater-darmstadt.de
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Photo : Barbara Aumüller
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