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La Reine des neiges par le Ballet de l’Opéra National d’Ukraine au – Chaleur et grâce – Compte-rendu
Quelle aventure, quels contrastes jouissifs que ce spectacle offert par le Ballet de l’Opéra National d’Ukraine, comme un pied de nez à la dureté de l’histoire, aux drames dont ces artistes sont à la fois témoins et victimes ! Car jamais, ils n’ont cessé de se battre pour conserver leurs trésors, ces impalpables instants de beauté que procure leur danse. Fragile et forte. Car tout dans ce spectacle – un tour de force des productions Sarfati que ces 17 représentations – est matière à étonnement par les surprises qu’il propose : d’abord le choix du programme, qui, au lieu d’un ballet dramatique en accord avec le temps, ou purement académique pour montrer la pérennité de l’art classique dont les slaves sont les transmetteurs, s’est porté sur une féerie, comme pour survoler les obstacles, et rêver comme des enfants.
© Ksenia Orlova
Etonnant aussi, voici un conte d’Andersen, généralement sinistre, qui ose finir bien, cette Reine des Neiges qui conte une belle histoire d’amitié et de courage, portée par une compagnie à l’homogénéité remarquable, que dirige depuis peu le Japonais Nabohiro Terada, lequel y fit ses classes et sa carrière. Classique de facture en apparence, on trouve ici un compromis de Giselle (joli village au premier acte), palais et jardin féerique comme dans La Belle au Bois dormant, sortilèges et esprits comme dans La Sylphide. Bref, un condensé de romantisme mais inversé : le couple central n’est qu’une paire d’amis, c’est au garçon d’être envoûté, contrairement à l’héroïne du Lac des cygnes, et le méchant magicien est ici une sublime et méchante enchanteresse !
Et puis, en premier, le choc de la musique : tout emprunt à l’art russe ayant été proscrit, Tchaïkovski a été évincé de cette aventure qui lui irait si bien. Tout comme Borodine ou Tcherepnine, ce qui nous vaut une sélection pour le moins inattendue, qui fait la part belle à Berlioz – quoi de mieux que la Fantastique –, à Massenet, dont on retrouve l’éblouissante Aragonaise du Cid, à Offenbach, outre un soupçon de crème fouettée avec Strauss et Waldteufel. Egalement, pour notre bonheur, de solides emprunts à Grieg, avec l’irrésistible Antre du Roi de la Montagne de Peer Gynt qui remplace fort bien les Danses polovtsiennes du Prince Igor de Borodine, si utilisées. Autant de pièces furieusement dansantes, qui nous reposent de Minkus et autres tâcherons de la musique chorégraphiée. Enfin, et ce n’est pas la moindre des surprise, quatre extraits de pièces grandiosement wagnériennes d’Augusta Holmes, qui prouvent que nos amis de Kiev ont du goût et de la curiosité. C’est dire que la baguette de Sergii Golubnychyi trouve à se délecter de ce festin, dans lequel l’Orchestre Prométhée le suit avec appétit. Le tout dans des décors sucrés comme le Palais de Dame Tartine.
© Ksenia Orlova
Mais l’essentiel est qu’ici l’on danse, et bien, même si les pointes des ballerines n’ont pas toujours le cambré idéal, mais peut être est-il difficile de trouver en ces temps troublés l’outil idéal qui, il y a deux siècles, fit de la Sylphide l’image idéale du rêve romantique, ce mythique chausson qui rend aérienne la plus solide musculature. Et l’on danse avec cœur, enthousiasme et beaux bras, de façon très officiellement classique, dans la chorégraphie bien structurée, pas toujours très expressive mais brillante d’Aniko Rekhviashvili. Avec quelques tours de force chez les garçons, notamment dans la danse forcenée des brigands. S’agissant des solistes, qui se relaient au cours de cette longue série de soirées, on a pu juger de la grâce et de l’harmonie du couple principal Yaroslav Tkachuk et Tetiana Lozova, au charme fruité et à la technique sans faille, et de la beauté altière et graphique d’une Reine des neiges froide à souhait, Iryna Borysova, outre une myriade de solistes endiablés. Ici la glace symbolique fond grâce à l’amour et au courage, et le ballet s’achève, après un porté vertigineux, sur un baiser. Celui de l’espérance. Les Ukrainiens nous ont mis le cœur au chaud.
Jacqueline Thuilleux
La Reine des Neiges – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 28 décembre ; prochaines représentations les 30, 31 décembre 2024, 2, 3, 4 & 5 janvier 2025 // www.theatrechampselysees.fr/saison-2024-2025/danse/reine-des-neiges-ballet-national-ukraine
Photo © Ksenia Orlova
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